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Colin Powell ou la cérémonie des preuves

Annoncé à grand renfort de publicité par George W. Bush lui-même qui, la semaine dernière, claironnait que Colin Powell soumettrait au Conseil de sécurité de l’ONU les preuves de la fourberie de Saddam Hussein, le discours du secrétaire d’Etat américain m’a plongé dans une grande perplexité.

Non pas sur le fond — cela fait désormais des mois que l’on sait que les dirigeants américains n’ont rien contre le dictateur irakien à part le fait qu’il soit dictateur, et que, paradoxalement, ils n’ont pas envie d’en faire état car cela supposerait un devoir d’élimination de tous les dictateurs de la planète, tâche insurmontable même pour une hyperpuissance comme les Etats-Unis — mais sur la forme.

Installé devant mon poste de télévision, j’ai suivi (merci Euronews pour la traduction simultanée) d’un bout à l’autre cette étrange cérémonie d’une déclaration de guerre qui n’en était pas une.

Une dizaine de minutes avant l’ouverture de la session, une caméra baladeuse nous montra les protagonistes approcher de l’arène. Colin Powell, majestueux mais sans superbe, drapé en somme dans la pure majesté du pouvoir, saluait ses connaissances, serrait des mains, distribuait embrassades et accolades avec une générosité simple et évidente. Mais sans sourire.

Tout sourire par contre, son principal adversaire, Dominique de Villepin, le ministre français des Affaires étrangères, trouva l’occasion de le saluer deux fois à cinq minutes d’intervalle en multipliant les tapes amicales (et démonstratives) sur l’épaule, probablement pour être certain de n’avoir pas été oublié par les caméras.

Président de séance, Joschka Fischer, boudiné dans un costume trois pièces plus digne d’un notaire bavarois que d’un écolo berlino-francfortois, se préparait à officier en détachant sa montre-bracelet pour la poser à côté de son micro. Kofi Annan se faufilait vers sa place en slalomant entre des ministres chinois, camerounais, britannique ou chilien.

A 16h30 tapantes, Fischer ouvrait la séance et invitait l’accusé irakien à rejoindre ses juges à la table du Conseil. Powell pouvait commencer son réquisitoire. Je l’ai écouté du début à la fin. Comme tous les mauvais élèves, j’ai connu quelques somnolences tant le ronronnement du ministre américain était régulier, mais je me suis chaque fois ressaisi et j’ai tenu bon pendant une heure et demie. Qu’en dire?

Rien.

Ou si peu que cela revient à rien. Car enfin, exhiber comme preuves des écoutes téléphoniques ou des photographies dont on sait depuis que ces techniques existent que cela sert à tout sauf à prouver quelque chose; expliquer ensuite en projetant des images de camions que des usines peuvent être montées sur de tels engins sans montrer pour autant les usines en question; tenter enfin de faire passer Saddam pour un suppôt de Ben Laden alors que tout les sépare, ne peut convaincre que des convaincus.

Mais alors pourquoi cette insistance à prêcher les convaincus?

Parce que nous avons affaire à des politiciens intégristes qui, dans leur croisade anti-irakienne, cherchent à croiser le fer avec une autre religion, une autre civilisation. Porte-parole d’un groupe dirigeant américain issu de l’extrême-droite protestante, Colin Powell ne demande rien d’autre qu’un acte de foi.

Ecoutant ses propos, je ne pouvais m’empêcher de penser à cette curieuse dimension du politique en ce début de XXIe siècle: la foi.

Le regardant parler dans son costume sombre (bleu pétrole, comme il se doit), je pensais que cet homme, un des plus puissants de la planète, devait, en raison du bon plaisir de son patron, prier à mains jointes comme ses compères ministres avant le début de chaque réunion du gouvernement.

La prière avant de décider d’écraser tout un peuple pour le simple fait qu’il a la malchance d’être gouverné par un satrape sanguinaire. La prière pour se boucher les oreilles et ne pas entendre la plainte de l’autre. La prière pour déclencher une guerre dont il est impossible de prévoir les retombées.

Les grands conflits ont toujours été déclenchés à la suite d’un mauvais coup politique, mais en général on ne l’apprenait que beaucoup plus tard. Aujourd’hui, le mauvais coup se réalise sous nos yeux, en direct, sans que les auteurs cherchent à se donner l’apparence de la raison.

Car, les mains jointes, ils sont certains que ce qui est bon pour eux, l’est aussi pour nous. Diable!