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Deuxième guerre d’Irak: les gesticulations de la Vieille Europe

Un sondage vient de nous l’apprendre: quatre Français sur cinq se déclarent partisans d’un recours au droit de veto dont dispose leur pays au Conseil de Sécurité de l’ONU afin d’empêcher les Etats-Unis de faire la guerre à l’Irak.

Si l’heure était à la plaisanterie, on pourrait se demander pourquoi un peuple si pacifiste ne manifeste pas en masse devant l’Elysée pour protester contre la vraie guerre que son armée, l’armée française, mène en Côte-d’Ivoire depuis plusieurs mois déjà…

Deux choses me semblent particulièrement intéressantes dans ce sondage. Il y a bien sûr cette belle unanimité dans la condamnation de la politique américaine au Proche-Orient — voilà qui nous ramène à la grande époque du gaullisme, quand le Général enthousiasmait les foules en retirant son armée du dispositif militaire de l’OTAN.

Et puis, il y a en second lieu l’objet dérisoire de l’affirmation de cette unanimité. Le droit de veto français aux Nations Unies a un poids politique qui doit être à peu près équivalent à celui dont disposait notre Micheline nationale en serrant la paluche de Colin Powell samedi dernier à Davos: voguant entre plus et moins zéro, mais habillé du dimanche comme il sied en diplomatie, donc digne de respect, de blablas et de ronds de jambes.

Comme le dirait ce charmant Donald Rumsfeld d’une lippe dédaigneuse, «encore une expression de la vieille Europe !»

La vieille Europe. Quoi de plus «vieil européen» que ces gesticulations sur un droit de veto acquis à l’arraché par de Gaulle au lendemain d’une deuxième guerre mondiale qui venait justement de sanctionner l’élimination de la France du concert des grandes puissances?

Brandies par Chirac, ces gesticulations sont risibles et Rumsfeld fait bien de s’en moquer. Par contre, la presque unanimité qu’elles provoquent en France est plus inquiétante: elle prouve que quatre Français sur cinq croient encore avoir les moyens d’une politique étrangère qu’ils n’ont plus depuis longtemps.

Quand un peuple se réfugie dans des chimères de ce type, c’est que le nationalisme n’est pas très loin. La France n’en est pas là, mais l’avertissement mérite d’être médité. Cela d’autant plus que la soudaine et incongrue résurrection d’un couple franco-allemand aspirant à un leadership européen n’a rien de neuf ni de prospectif.

Les deux Etats sont rongés par une crise de société profonde où l’on voit qu’aucune des forces traditionnelles, de gauche ou de droite, n’est capable d’ébaucher ne serait-ce que l’embryon d’une solution. L’ampleur de la crise et la médiocrité de la réponse politique peuvent fort bien (et même très rapidement selon l’évolution de la situation internationale) faire le lit d’une extrême droite populiste dont les succès récents de Le Pen nous ont montré la vitalité latente.

Quant à l’Allemagne, après l’échec de Kohl, si sa social-démocratie s’avère réellement incapable (comme tout l’indique hélas!) de prendre en charge politiquement les restructurations indispensables de son économie et de son administration, qui peut prévoir aujourd’hui où l’emmèneront les violences que ce drame engendrera nécessairement?

Et c’est ce couple d’éclopés qui prétend montrer aux grabataires fraîchement débarrassé du communisme la voie triomphale vers la démocratie et la prospérité économique?

Un peu de modestie et beaucoup de réalisme auraient dû conseiller une approche moins impériale de la construction de l’Europe à vingt-cinq. En prônant par exemple un directoire à quatre (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie) sur le modèle de nos anciens cantons Vorort du temps de la Confédération de 1815. Avec des relais intermédiaires au niveau d’Etats d’importance moyenne comme l’Espagne ou la Pologne pour arrondir les angles.

Avec son coup d’esbroufe, le couple franco-allemand se retrouve nu comme un ver. Anti-américain, il n’est suivi par personne. La Grande-Bretagne, l’Espagne et l’Italie sont résolument aux côtés de Bush. La «nouvelle» Europe aussi. Les dirigeants des pays de l’Est se livrent une concurrence acharnée dans l’art pourtant facile du cirage des bottes américaines.

Le fait d’avoir subi pendant des décennies les diktats du Pacte de Varsovie leur donne une envie frénétique de connaître ceux de l’OTAN. Comme il s’agit dans les deux cas des mêmes personnes, cet attrait pour l’enchaînement volontaire correspond surtout à un appât du gain démultiplié par la bonne cote du dollar. Mais les peuples, jusqu’à quand laisseront-ils faire?

La seconde guerre d’Irak étant désormais certaine et même proche, il est aussi intéressant de noter la rapidité avec laquelle le président Poutine a négocié son ralliement à la politique de George W. Bush.

Profitant d’un voyage en Ukraine, il a envoyé l’Irak dans les cordes par deux phrases sibyllines («Si l’Irak commence à gêner le travail des inspecteurs, la Russie pourra modifier sa position et se mettre d’accord avec les Etats-Unis») et un sourire narquois.

Dans ces conditions, il n’est pas très risqué de conclure que, prise en tenaille entre Moscou et Washington, la diplomatie franco-allemande du veto à l’ONU va faire long feu. D’autant plus qu’entre l’approbation et le veto se dessine encore l’immense marge de manœuvre de la courageuse abstention.