Théoricien aimant les jolies filles, Jean-Pierre Limosin livre avec «Novo», fable sur le désir et l’amour, un film lisse comme un manga, chic, joli et agaçant.
C’est probablement le fantasme de beaucoup de femmes: faire l’amour avec un homme qui ne s’en lasse jamais. Parce qu’il vous adore? Parce qu’il est atteint de priapisme? Parce que vous-mêmes êtes une déesse du sexe? Non, parce qu’il ne s’en souvient pas d’une fois à l’autre, parce qu’il est atteint d’amnésie et que pour lui c’est toujours l’émerveillement de la première fois.
Mais supporteriez longtemps que ce même homme, cet amant magnifique, vous oublie dix minutes après vous avoir honorée? Accepteriez-vous qu’il fasse avec d’autres ce qu’il fait si bien avec vous? Qu’est-ce qu’un amour sans mémoire? Et de quoi se nourrit le désir? La philosophie du «Carpe Diem» poussé à l’extrême est-elle vivable? Pour soi, d’abord; pour les autres, ensuite?
Autant de questions qui traversent «Novo», film élégant, volontariste dans sa légèreté, obsédé par sa jeunesse au point de fuir toute idée de gravité. Un peu comme l’argile dans un sablier, le film s’écoule sans rien retenir sur son passage, répétant à l’infini les mêmes gestes comme son héros Pablo surnommé Graham (l’Espagnol Edouardo Noriega), préposé à la photocopieuse dans une grande boîte de communication.
Soyons clair, la première raison d’être de cette fable sur l’amour et la mémoire, ce qui justifie que le film de Jean-Pierre Limosin soit en couverture de plusieurs magazines féminins, c’est Anna Mouglalis. Mélange de Inès de la Fressange et d’Anna Magnani, de Jeanne Balibar et de Lio, la brune égérie de Chanel a été révélée au cinéma par Claude Chabrol dans «Merci pour le chocolat», tourné dans les environs de Lausanne. «Tu ne crois tout de même pas qu’il y a des voleurs en Suisse?» était sa première réplique.
Si «L’Homme sans passé» d’Aki Kaurismäki, autre film sur l’amnésie, mettait un scène un homme qui profitait de ses absences pour reconstruire le monde à zéro, Graham/Pablo n’a aucune autre ambition que celle du plaisir immédiat et de l’innocence permanente.
Mais peut-on avoir de l’ambition quand on ignore tout de la continuité? De la même manière, Graham/Pablo peut-il véritablement tomber amoureux puisqu’il n’y a pas d’amour sans histoire, comme le dit Irène (Anna Mouglalis) qui pensait pouvoir se souvenir pour deux, avant de souffrir d’être constamment «abandonnée». Si «Novo» est dépourvu de gravité, il ne manque pourtant pas de mélancolie puisque tout y est voué à l’oubli et à la disparition.
Cette mélancolie, ce sont les voix qui la signifient; voix profondes et chaudes des actrices (Anna Mouglalis et Nathalie Richard, extra en patronne profitant sexuellement de ses employés), mais aussi timbres brûlés par le chagrin et les excès des deux chanteuses qui subliment l’excellente B.O. du film: Marianne Faithfull et Billy Hollyday, dont les chansons sont interprétées pour notre plus grand bonheur presque in extenso.
Ces voix de la maturité contrastent singulièrement avec l’approche visuelle de «Novo» qui développe une esthétique de la surface scintillante, à l’image de l’outil de travail de Pablo/Graham, une photocopieuse. La bande son de «Novo» apporte l’heureux contrepoint à une imagerie assez fétichiste, une «amélisation» des lieux (cette sorte de nostalgie branchée qui a fait le succès du film de Jean-Pierre Jeunet dans le monde) ou une manière de filmer la capitale française, son métro, ses parcs, ses panoramas, comme un touriste nippon.
Jean-Pierre Limosin, dont le précédent long métrage de fiction était «Tokyo Eyes», a incontestablement le goût du Japon, le Japon de la haute technologie – usage amusant de la balise GPS qui aurait changé le destin du Petit Poucet – des mangas (netteté clean), de la culture zen (décors minimalistes), le culte du joli, du mignon, du lisse; la passion pour les jeunes filles en socquettes et les garçons sans histoires.
Par son absence de continuité narrative, son côté expérimental, son intrigue qui avance en reculant (la révélation progressive du passé de Pablo prend une place croissante dans le film), ses plans de géomètre, ses situations invraisemblables dans la vraie vie, «Novo» est un film résolument artificiel, exactement comme l’est Pablo/Graham récitant phonétiquement un texte qu’il ne comprend visiblement pas.
Quand cette artificialité lorgne du côté de la peinture naïve, de l’expérimentation technologique, de la comédie, le film est délicieux; quand en revanche elle pue l’insincérité, la pose hautaine, l’arrogance candide, il devient terriblement tête à claques. L’artifice se manifeste aussi dans le traitement sans profondeur des personnages considérés comme des figures, de belles apparences, des signes de la modernité internationale.
C’est probablement pour cela que l’on trouve les acteurs beaux, bien faits et bien habillés, très chics, mais que leurs scènes d’amour, d’un érotisme lui aussi assez codé et mignon, manquent d’audace et de trouble, trop graphiques pour être érotiques. Un concept de fashion-film en quelque sorte, séduisant et oubliable.
