- Largeur.com - https://largeur.com -

Peut-on rire sous l’ère Sarkozy? Peut-être, mais pas au cinéma

Trois comédies sont actuellement à l’affiche qui expriment, chacune à sa manière, une forme d’humour à la française: littéraire avec «C’est le bouquet»; populaire avec «Ah si j’étais riche»; et satirique avec «Mon idole».

Jean-Pierre Daroussin offre son visage de clown mélancolique et sa démarche de faux mou aux deux premières comédies tandis que François Berléand, éternel second rôle, domine avec une frénésie gourmande la satire – en longueur – de Guillaume Canet.

La cinéaste Jeanne Labrune adore les titres de films inspirés d’expressions courantes: avant «C’est le bouquet», elle avait réalisé «Ça ira mieux demain», où Jeanne Balibar se prenait la tête avec une commode normande pas très pratique qui faisait office d’objet transitionnel.

Le principe de «C’est le bouquet», fantaisie polysémique, est identique: une gerbe de fleurs adressée à Sandrine Kiberlain (exquise en névrosée incapable de retenir sa langue) passe de mains en mains suscitant commentaires, quiproquos et chassés-croisés entre une dizaine de personnages, tous issus d’une gauche bourgeoise et bohème, sauf le patron de la start-up (Mathieu Amalric), jeune arriviste crédule et cynique qui ne jure que par la «flexibilité» pour mieux régenter son monde.

La langue et ses jeux sont la matière première du comique de Jeanne Labrune. Ici, les mots tiennent lieu d’action; ce sont eux qui déclenchent les rencontres (Brialy laissant sa carte de visite à la péronnelle qui le traite de raciste parce qu’il dit des Asiatiques qu’ils sont jaunes), les mini catastrophes (un protège-protège-slip bouchant les toilettes) ou d’absurdes impasses (Kant servant à vendre des moissonneuses batteuses!). Dans «C’est le bouquet!», le langage est un fluide qui permet de glisser d’une scène à l’autre sans même s’en rendre compte.

Héritière de Guitry pour son goût de la théatralisation et de la stylisation (les vêtements et les décors «parlent»), disciple de Freud dans sa manière d’envisager le langage comme révélateur d’inconscient, Jeanne Labrune est aussi une proche cousine de Brétécher, dont elle partage le regard lucide et drôle sur un groupe socio-culturel aussi crispant qu’attachant, les bobos. En connaisseuse, elle égratigne leurs tics, leurs tocs et leur arrogance souvent déguisée en «bien-pensance».

Si cette loufoquerie dominée par l’esprit d’escalier est agréable à regarder et à entendre, elle reste néanmoins figée dans le cadre de l’exercice de style. Mécanique très bien huilée mais un peu vaine, «C’est le bouquet» sent un peu trop la sitcom de luxe pour devenir la comédie tout public dont rêve le cinéma français. A la différence des films de Francis Veber ou Claude Zidi, champions du rire hexagonal, l’exercice libre de Jeanne Labrune, trop littéraire et personnel, ne risque pas d’être «remaké» par les Etats-Unis.

«Ah si j’étais riche» en revanche pourrait être adapté sans problème au marché américain tant la comédie de Michel Munz et Gérard Bitton (les deux scénaristes des deux «Vérité si je mens») s’attaque à un sujet universel: le pactole gagné au loto et l’effet que cet argent facile va produire chez l’heureux bénéficiaire. En l’occurrence, Aldo, un représentant en produits capillaires (Jean-Pierre Darroussin), marié à une infirmière (Valeria Bruni-Tedeschi, enfin jolie!) qui porte leur couple depuis des années.

Au moment où les 10 millions d’euros qu’il vient de gagner pourraient peut-être sauver son ménage, Aldo découvre que son épouse le trompe avec son patron (Richard Berry.) Pour se venger, il cache la bonne nouvelle à sa femme jusqu’à ce que leur divorce soit prononcé.

Le problème avec «Ah si j’étais riche!», c’est que le film est aussi paresseux qu’un ticket à gratter. Il ne s’y passe rien: l’intrigue n’évolue pas, les personnages non plus, tandis que le rare suspense — parviendra-t-il à reconquérir sa femme? — arrive trop tard pour qu’on s’y intéresse.

Hormis un bon mot d’auteur («Finalement, quand on est riche, ça ne s’arrête jamais? – Rassurez-vous, c’est pareil quand on est pauvre!»), les dialogues manquent de caractère, à l’image de cette comédie honnête mais sans idées qui a de l’argent une vision des plus moralement consensuelle: il est mauvais quand Aldo en profite tout seul (prostitution, drogue, snobisme); bon quand il le partage avec ses amis.

Encore faut-il savoir partager… Le producteur de télévision trash Jean-Louis Broustal (François Berléand que l’on voit enfin sourire), héros de «Mon idole», ne sait pas ce que ce mot signifie. Ce qu’il veut, c’est qu’on le divertisse, lui que l’argent et le pouvoir ont pourri et anesthésié.

Il se trouve que Bastien (Guillaume Canet qui ne s’est pas donné le beau rôle), chauffeur de salles ambitieux, est prêt à tout pour obtenir de son patron qu’il admire éperdument l’autorisation de présenter sa propre émission. Les exigences extravagantes du grand manitou de la TV n’ont d’égales que la veule soumission de son employé.

C’est quoi au fond, «Mon idole»? Une satire de la télé-poubelle? Une comédie trash pour dénoncer le pouvoir de l’argent? Une étude burlesque des comportements? Rien de tout cela hélas, seulement le premier film d’un acteur qui a beaucoup aimé «Pulp Fiction» de Tarantino et «Funny Games» de Michael Haneke et qui plagie ses modèles sans même s’en rendre compte.

Et quand il ne sait plus comment faire évoluer ses personnages et son intrigue, qu’il tente de faire rebondir une situation qui de toute manière s’est déjà enlisée jusqu’à son point de non-retour, le voilà qui fait appel aux ressorts du cinéma gore avec références au surréalisme, terme bien pratique pour cacher le manque d’imagination — car l’imagination c’est aussi de la rigueur — de son auteur. Résultat: «Mon idole» le film ressemble à «Mon idole» le personnage: capricieux, vélléitaire, surprenant d’abord, lassant ensuite, cynique et infantile.

A tout prendre, j’aime encore mieux l’immonde mais premier degré «Jerry Springer Show», dont Guillaume Canet dit s’être inspiré, plutôt que cette pâle copie donneuse de leçons.