CULTURE

George W. Bush choisit une blonde pour faire campagne

Bien mal traduite en français par «Fashion Victim», la comédie sentimentale d’Andy Tennant avec Reese Witherspoon fait l’apologie de l’Amérique républicaine, rurale et machiste. Le film fait un carton outre-Atlantique.

Les signes d’une «bushisation» de la culture aux Etats-Unis se renforcent de jour en jour. On se souvient de l’affaire Abbas Kiarostami, en octobre dernier, ce cinéaste iranien dont le visa a été refusé alors qu’il avait été invité au New York Film Festival. Raison invoquée: le manque de temps des autorités à procéder aux investigations d’usage, investigations justifiées par la nationalité du réalisateur. Aux yeux de l’administration Bush, Abbas Kiarostami, palme d’or au Festival de Cannes 1997 pour «Le Goût de la cerise» et un des plus grands cinéastes contemporains, ne représentait rien d’autre qu’un terroriste en puissance.

Des critères aussi discutables semblent avoir inspiré l’Académie des Oscars dans sa sélection des meilleurs films étrangers. C’est ainsi que «Intervention divine» d’Elia Suleiman a été recalé parce que «la Palestine n’est pas un Etat reconnu» et que le britannique «The Warrior» a été rejeté sous prétexte que l’on y parle hindi et que cette langue, même très pratiquée en Grande Bretagne, n’en constitue pas l’idiome officiel.

Pour l’heure, cinquante-quatre films étrangers participent à la compétition; cinq seulement seront retenus pour le 23 mars: «Huit femmes» de François Ozon devrait figurer parmi les finalistes. Le film, très champagne/haute-couture/glamour a les faveurs du marché américain qui le juge terriblement français et sans aucun danger pour le sol national.

Comme les années Reagan étaient dominées par la figure de «Rambo», les valeurs défendues par George W. Bush trouvent leur incarnation dans une petite comédie sentimentale à priori inoffensive: «Sweet home in Alabama» bien mal traduit en français par «Fashion Victim».

On avait découvert et adoré Reese Witherspoon dans «La Vengeance d’une blonde», démonstration hilarante des vertus de la frivolité. Avec son titre en forme de rubrique de magazine féminin, «Fashion victim» aurait dû logiquement constituer une suite aux aventures de la bimbo blonde, finalement plus armée du cerveau que ne le laissait envisager son brushing de majorette.

Mais le film d’Andy Tennant, dont le titre original «Sweet Home Alabama» paraît plus adéquat, n’est qu’un formidable navet, sans rythme ni fantaisie, invraisemblable dans le traitement de ses personnages, lourd comme des semelles de terre grasse, simpliste comme un programme de l’UDC et aussi prévisible qu’un rot sonore après trois canettes de bière. La comédie fait pourtant un carton aux Etats-Unis.

Mélanie (Reese Witherspoon) est une styliste de mode très en vue à New York. Sur le point d’épouser le célibataire le plus convoité de la ville — il est fils du maire, une démocrate à la Hillary Clinton (Candice Bergen, délicieuse) — l’ingrate se souvient qu’elle est déjà mariée dans son village natal, en Alabama, avec un certain Jake (Josh Lucas). Avant d’annoncer la date de leur mariage, elle demande la permission à son nouveau prince charmant de retourner dans le sud pour informer sa famille de la bonne nouvelle et surtout régler son divorce le plus rapidement possible (mais cela, elle ne le lui dit pas).

Dès qu’il ouvre la porte, on comprend que l’ex-mari de Mélanie, son premier amour, n’est pas le dernier des ploucs: trop joli garçon (c’est un mélange harmonieux de Paul Newman et Kevin Costner), trop aventurier (il possède un petit avion à réaction), encore trop amoureux de sa femme (il n’a jamais oublié leur premier baiser) pour se faire larguer comme ça, par une citadine dégénérée!

Laquelle finira tout de même par comprendre qu’une cabane en bois vaut autant qu’une bague de fiançailles de chez Tiffany et qu’une bande de copains qui rigole dans un saloon tient plus chaud l’hiver que les défilés de mannequins anorexiques. Enjeu du film à ce moment là du scénario: qui des deux hommes — tous les deux charmants — gagnera le coeur de Mélanie? Un New-yorkais porté vers un avenir politique grandiose ou un Sudiste qui croit à la parole donnée?

Cet hymne à la douceur du sud et aux plantations de coton tourne rapidement à la nostalgie du joli temps de l’esclavage (les rares Noirs sont des employés de maison comme dans «Autant en emporte le vent» ou des stylistes efféminés en quête de virilité), au retour au foyer des femmes dont le destin est d’avoir des enfants et à l’exaltation des vraies valeurs, celles du terroir mais aussi de la suprématie blanche et mâle — le père de Mélanie passe tout son temps libre en reconstitutions des grandes batailles de la guerre de Sécession.

En dépit de ses apparences jeunes et branchées (on croirait les deux acteurs masculins mannequins chez Calvin Klein) et de l’abattage de Reese Witherspoon, «Fashion victim» est une comédie profondément frileuse et réactionnaire, dont la morale pourrait se résumer ainsi: les politiques sont tous des pourris, New York est le Sodome et Gomorrhe du XXIe siècle et les Démocrates de grands ambitieux prêts à sacrifier le bonheur de leurs enfants pour une élection.

Dans tout ce fatras de bons sentiments, un seul personnage apparaît véritablement mauvais (c’est pourtant le seul un peu intéressant): le maire de New York incarné par Candice Bergen. Une femme qui a de l’ambition politique ne peut être qu’une salope, une mauvaise mère et une épouse abandonnée, dixit ce film-tracteur qui prend un malin plaisir à briser le plus petit désir d’indépendance de son héroïne.

Bush a trouvé son porte-parole le plus efficace: une blonde populaire qui a compris que la vraie vie était Républicaine.