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Remaniement raté: un boulevard pour Blocher

Les Conseillers fédéraux ont fait tourner les chaises mercredi. Mais politiquement, ils persistent à se voiler la face devant l’avancée du rouleau compresseur blochérien.

Une fois de plus la médiocrité prévaut. La nouvelle répartition des tâches au Conseil fédéral s’est faite mercredi matin sous le signe des pesanteurs de la droite dite bourgeoise:

Pascal Couchepin a obtenu le département qu’il convoitait, Joseph Deiss a glissé vers l’économie après avoir eu le temps de faire – comme il le désirait lors de son élection – trois ou quatre fois le tour du monde et la petite dernière, Micheline Calmy-Rey, hérite des Affaires étrangères, une espèce de cache-sexe fluorescent puisque, chacun le sait, depuis que Monsieur Blocher fait de la politique, la politique étrangère helvétique n’existe plus.

Remarquez qu’elle n’aura peut-être que l’occasion d’y faire un petit tour avant de reprendre l’an prochain le fauteuil de Villiger. La droite adore confier les finances aux socialistes: ils sont mieux placés qu’eux pour dorer la pilule au simple pékin et faire cracher les porte-monnaie. C’est aux finances qu’en 1944, elle casa Ernst Nobs, le premier socialiste admis à participer au pouvoir suprême. C’est aux finances que, plus récemment, Willi Ritschard et Otto Stich surent se singulariser.

Après s’être cassé le nez sur le capitalisme zurichois, et tout particulièrement sur la faillite de Swissair qui lui a permis de comprendre que le pouvoir politique n’avait pas grand chose à dire à propos des grandes options des gnomes de la Bahnhofstrasse, Pascal Couchepin s’est habilement refait une virginité fanfaronne et clame à tous vents qu’à l’Intérieur, «on va voir ce qu’on va voir».

Les assurances sociales et les caisses de pension sont dans une telle impasse qu’il ne court pas grand risque: il est difficile de faire pire que ce à quoi nous avons assisté ces dernières années.

Notons toutefois que l’on peut tracer une croix sur la caisse unique et se préparer à une gestion de la santé de type britannique, à deux ou trois vitesses.

Quant à Deiss, le seul fait de le nommer revient à lui conférer une existence dont chaque matin devant son miroir il doit se réjouir en se répétant: «Je me vois, donc je suis!»

Tout cela n’est que cuisine ordinaire, de l’ordre de la cantine militaire.

Politiquement, nos sages – et les partis qu’ils représentent – persistent à se voiler la face devant l’avancée du rouleau compresseur blochérien. En refusant de placer Micheline Calmy-Rey au département de l’économie et d’utiliser ainsi au mieux des compétences largement reconnues, ils maintiennent le parti socialiste dans une position subalterne. Dans le genre: on ne peut pas leur faire confiance car les milieux d’affaires sont méfiants.

Or s’il est un département qui, plus encore que l’Intérieur, mériterait un sérieux coup de balai doublé d’une forte injection d’air frais, c’est bien l’économie. Il y a là des dynasties de baronnies radicales qui, depuis la Première guerre mondiale, ont couvert tous les mauvais coups, de la collaboration avec les nazis jusqu’à l’indécent mais fructueux soutien à l’apartheid sud-africain.

Sans parler, à l’intérieur, de la protection apportée des décennies durant aux ententes cartellaires plus ou moins avouées ou à une politique agricole défiant les lois les plus élémentaires du marché.

Ainsi, alors que le 4 décembre l’UDC a ouvert avec panache sa campagne électorale pour les législatives d’octobre 2003, radicaux et démocrates-chrétiens poursuivent avec assurance et persévérance leur route droit dans le mur.

Ils avaient une occasion avec le remaniement gouvernemental de donner un signal fort au pays, d’annoncer un front commun contre l’adversaire d’extrême-droite en faisant des socialistes qui, soit dit en passant sont aussi bourgeois qu’eux, un partenaire à part entière. Pour ne l’avoir pas voulu, ils ouvrent une fois de plus un boulevard aux troupes de Blocher qui, bientôt, les piétineront. Et nous avec, hélas!