LATITUDES

Les effets secondaires de l’échographie (de Kurt Cobain à Brandy)

Les examens prénataux déclenchent une nouvelle forme d’angoisse chez les futures mères. L’imagerie médicale serait-elle devenue un spectacle?

On dit que Kurt Cobain a décidé d’appeler sa fille Frances Bean quand il l’a vue apparaître sur l’échographie. Le petit foetus ressemblait à un haricot («bean»).

C’est également à la suite d’une échographie que la chanteuse Brandy, enceinte de cinq mois, a annoncé qu’elle attendait une petite fille. La chaîne MTV a aussitôt transformé en feuilleton — «Diary Presents: Brandy-Special Delivery» — ses dernières semaines de grossesse.

Sarah Jessica Parker, l’héroïne de «Sex and the City», ne l’a pas imitée. Le 28 octobre dernier, elle donnait naissance à James Wilke au terme d’une grossesse «à l’ancienne». L’actrice ne collera pas, comme la plupart de ses copines, des photos d’échographie sur l’album familial. Elle n’a pas souhaité voir son enfant avant l’accouchement; une attitude devenue rare.

Depuis peu, les Américaines peuvent s’offrir des échographies de leur fœtus au centre commercial. Avides de souvenirs de leur «baby-to-be» (bébé à venir), les futures mamans repartent de ces boutiques-studios avec quatre photos et une vidéo de dix minutes montée sur fond musical, le tout pour 75 dollars.

C’est la société Fetal Fotos qui a lancé ce concept. A quand l’étape suivante, à savoir une sonde sur son ordinateur pour effectuer soi-même l’échographie?

Si l’imagerie médicale prend des aspects ludiques, elle reste avant tout un moyen de diagnostic permettant de déceler des anomalies à un stade précoce et, dans certains cas, de les traiter in utero. Depuis la fin des années 70, l’échographie se banalise. La grossesse, surmédicalisée, devient source d’angoisse pour les parents, ce que dénonce Didier Sicard dans «Une médecine sans le corps», paru aux éditions Plon.

Le professeur français estime que la naissance d’un enfant est devenue, au nom de la sécurité, un véritable parcours du combattant. «Je ne parle pas de l’assistance médicale à la procréation, je parle des grossesses normales. En réalité, 97% des femmes enceintes ne sont porteuses d’aucunes anomalie et il est impressionnant de constater que ces 2 ou 3% de grossesses anormales ont fini par inquiéter 100% des femmes enceintes, qui vivaient auparavant leur grossesse dans la sérénité.»

Un constat que partage le docteur Paul Janecek, privat-docent à l’Université de Lausanne. «Nous pratiquons un trop grand nombre d’examens. Nous gâtons les patientes en leur montrant tout ce qu’il est possible de voir. En fait, cela les sécurise si tout est normal, mais la moindre petite phrase anodine, quant à une position quelque peu bizarre de l’ombilic, par exemple, et c’est l’angoisse. Personnellement, je ne laisse pas percevoir le moindre petit doute et demande un deuxième avis à un collègue avant d’évoquer un problème devant les parents.»

«En trente ans, l’angoisse des femmes durant la grossesse s’est considérablement accrue, c’est sûr», déplore-t-il, tout en se disant persuadé qu’à l’avenir, ce désir de voir, et non seulement d’entendre le fœtus, va aller en s’amplifiant.

L’héroïne de «Sex and the City» craignait-elle cette nouvelle forme d’angoisse née d’examens prénataux, qui fait passer la future mère, à court intervalle, de l’anxiété à la sécurité ou vice versa?

Une étude menée par le Centre d’évaluation des choix technologiques («Aspects psychosociaux des examens échographiques durant la grossesse») montre que 30% des femmes interrogées n’étaient pas conscientes avant la première échographie qu’un diagnostic de suspicion pouvait contraindre à décider dans la précipitation de l’urgence médicale de mettre ou non un terme à leur grossesse. Un dilemme décisionnel extrêmement pénible.

La pression croissante qu’exercent sur les futurs parents les connaissances médicales et les techniques d’analyse est devenue très forte. Trop forte? Dans son ouvrage, Didier Sicard cite l’exemple d’une femme qui voulait arrêter sa grossesse parce que les échographistes faisaient grève… «Elle ne voulait poursuivre sa grossesse que si elle était assurée de la normalité de son fœtus.»

Une normalité qu’aucun échographe honnête ne saurait lui garantir. En Suisse, un document est, en principe, remis à toute future mère par son gynécologue avant le premier ultrason. On peut y lire: «Lorsque l’examen échographique est dans les limites normales, vous pouvez en conclure avec une grande probabilité que tout est effectivement en ordre. Mais il n’est pas possible de garantir sur cette seule base que votre enfant est effectivement exempt de tout problème.»

Suivent les pourcentages avec lesquels on peut diagnostiquer les problèmes sévères (90%), des anomalies moins graves (75%) et les anomalies plus discrètes (30%). Comment gérer l’incertitude qu’expriment ces chiffres?

Le principal intéressé, l’enfant à naître, n’a pas d’avocat. Le docteur Janecek reconnaît qu’en cas d’anomalie, c’est une équipe composée d’un échographe, d’un généticien, du gynécologue et du couple qui prend la décision. Une décision où seul intervient l’intérêt des parents.

Qu’en pense Emmanuel Hirsch, directeur de l’Espace éthique de Paris? «Je ne suis pas certain que, d’un point de vue éthique, on ait à voir l’enfant à naître. J’ai le sentiment que c’est un lieu intime et que nous sommes un peu voyeurs», affirme-t-il.