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J’ai coiffé Micheline Calmy-Rey

Selon ses détracteurs, la candidate genevoise au gouvernement fédéral serait trop agressivement indépendante, comme en témoigne sa coupe de cheveux. Alice Vinteuil, qui l’a coiffée, raconte tout. Mais ne vend pas la mèche.

Le titre de cette chronique me vaudra, je le crains, de nombreuses demandes d’interviews de la part des journaux people. A quelques heures de l’élection de la Conseillère fédérale, vous imaginez l’aubaine!

La presse est friande de potins. Je le sais car je coiffe régulièrement des journalistes qui essaient, avec quelques sourires ou de bons pourboires, de me soutirer des informations sur des clientes — il est vrai que mon salon est un des mieux fréquentés du canton de Genève, au point d’ailleurs d’avoir été surnommé «Longueurs et pointures» par l’une de mes éminentes clientes.

Mais je l’écris ici solennellement: je ne vendrai pas la mèche, surtout pas celle de Micheline Calmy-Rey dont je compte bien m’occuper quand elle aura été élue à Berne — je croise les doigts.

Elle ne se souvient probablement pas de moi. J’étais une jeune fille effacée alors, tellement timide que l’on disait de moi que «je rasais les bacs à shampoing». Personne ne me remarquait. De toute manière, les clientes n’avaient d’yeux que pour ma patronne, une rousse flamboyante et distraite qu’on appelait la Mère Royaume parce qu’un jour, elle avait ébouillanté dans la bassine le crâne d’une élue de l’Alliance de gauche. La malheureuse avait poussé un cri proche de l’ultrason. Depuis cette date, je ne manque jamais de demander aux clientes si la température de l’eau leur convient quand je les passe au shampoing.

C’est à cette époque que je me suis occupée, un matin d’hiver, de Micheline Calmy-Rey — sans me douter évidemment que j’avais entre les mains la tête d’une future candidate au poste suprême du pouvoir fédéral, et même, à l’époque, le crâne bien fait de la future ministre des Finances du canton de Genève.

Je ne la connaissais pas, et n’entendais pas grand chose à la politique genevoise. Je ne suis pas certaine de mieux la comprendre aujourd’hui, et moins encore les règles de la politique fédérale qui m’apparaissent aussi étranges que les coiffures successives de Christiane Brunner.

Car enfin, qu’est-ce qu’on reproche à Micheline Calmy-Rey? D’être nulle ou incompétente? De ne pas savoir parler l’allemand parfaitement? D’avoir échoué dans ses précédentes tâches? Pas du tout! D’être trop welsche, trop sûre d’elle, trop excentrique et surtout trop agressivement indépendante comme en témoigne sa coupe de cheveux.

Ce dernier argument, évidemment, ne manque pas de flatter ma profession. Ainsi une coiffure pourrait révéler l’être profond d’une personnalité, son ego le plus enfoui, son rapport au monde et au pouvoir. C’est ce qui s’appelle la mystique capillaire.

Ce qui m’a frappée quand j’ai vu Micheline Calmy-Rey à la télévision l’autre jour – elle était en train de défendre la légitimité du secret bancaire face à Alain Rebetez –, c’était son sourire. Le même qu’elle m’avait adressé, il y a des années, quand je lui avais montré sa nuque dans la glace après une décoloration à demi réussie. Je savais parfaitement que la décolo n’était pas terrible, mais elle m’avait dit: «c’est absolument parfait!» avec ce sourire horizontale à la chinoise (tout plissé du nez et des yeux) qui me terrorisa.

Était-ce de l’ironie? Une grimace de dépit? Sa manière à elle de ne rien laisser percevoir de sa déception? Non, elle était sincère: cette décoloration lui avait plu.

Cette anecdote explique peut-être ses goûts étranges en matière de cheveux, et plus particulièrement de teinture. Sans partager leur analyse ni éprouver leur effroi, je comprends les réticences de certains parlementaires devant les méchantes mèches bicolores, en damier dalmatien, de celle que la presse a surnommée Cruella.

Les mèches de Micheline, je les aurais traitées plus finement, avec un simple balayage plutôt que cet effet «spaghetti au tipex» qui lui donne un côté soft-punk, plus alémanique que romand. Si l’on ajoute les connotations «guerrières» de sa coupe, mi Louise Brooks, mi casque à la Jeanne d’Arc, la candidate genevoise est certainement plus fille de Minerve que de Junon.

C’est cette dureté capillaire, la même que celle de Ruth Metzler, qui la fait passer pour une femme inquiétante et imprévisible tandis que sa rivale, Ruth Lüthi, avec son brushing lisse et blond miel, se pose là comme un emblème de la féminité douce, maternelle et consensuelle.

C’est d’autant plus regrettable que Micheline Calmy-Rey a le courage, très rare dans le milieu politique, d’oser une coupe franche et pleine de tempérament, qui sort des carrés lisses et cendrés à la Michèle Alliot-Marie. «Les Genevois sont comme ça», dit le slogan de la Tribune de Genève; il convient bien à Micheline.

L’élection demain mercredi de la Genevoise tiendra-t-elle à un cheveu? Certainement, mais peut-être pas celui que l’on croit. Toutes ces histoires de mèches et de couleur cachent en réalité un autre problème qui m’apparaît autrement plus insurmontable.

Aux nombreux handicaps prêtés à la socialiste, il en est contre lequel elle ne peut rien: toutes les conseillères fédérales s’appellent Ruth.

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Alice Vinteuil, coiffeuse de profession, travaille régulièrement pour Largeur.com.