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Où étiez-vous ces dernières semaines, Joseph Deiss?

Chacun savait que l’initiative de l’UDC avait des chances d’être acceptée. L’extrémisme s’étendait aux portes du Palais fédéral, mais le gouvernement ne s’est pas mobilisé. Il ne fonctionne plus.

Séisme politique, fiasco du Conseil fédéral, dérive extrémiste, catastrophe politique: les premiers commentaires sur les résultats obtenus par l’initiative de l’UDC sur le droit d’asile sont d’une belle unanimité.

La pensée unique se drape comme toujours dans les oripeaux de la vertu outragée. Pour mieux oublier de se livrer au périlleux exercice de l’autocritique? Il est vrai que l’UDC blochérienne chevauche le populisme le plus abject, mais ses succès sont d’autant plus garantis que les autres partis gouvernementaux ne se mobilisent guère pour s’y opposer.

Ainsi, on savait depuis plusieurs semaines par sondages interposés que l’initiative avait des chances de passer: vous avez vu une réaction proportionnée de la part des socialistes, des radicaux et des démocrates-chrétiens? Ruth Metzler a fait son boulot comme le suppose son cahier des charges. Sans plus.

Où étaient les autres membres du gouvernement? Quel est celui d’entre eux qui a perçu ne serait-ce que l’ombre d’un danger pour le système qui l’a fait ministre et qu’il est censé défendre? Couchepin a ferraillé pour défendre son propre projet sur le chômage et basta. Samuel Schmid s’est courtoisement distancé de son parti. Mais les Dreifuss, Villiger, Leuenberger se sont mis aux abonnés absents.

Et Deiss? Vous l’avez entendu, Deiss? Il est vrai que le droit d’asile pour les étrangers n’a rien à voir avec les affaires étrangères. Dans le premier cas ce sont les étrangers qui viennent chez nous, dans le second c’est notre ministre qui se balade à l’étranger, il ne faut pas confondre!

Moralité: l’extrémisme s’étend aux portes du palais, menace de lui mettre le feu, mais les occupants de cet auguste symbole de la somnolence confédérale roupillent. Cette attitude témoigne à mon sens de la déliquescence de nos institutions. On a souvent comparé naguère le Conseil fédéral à un conseil d’administration. Nous n’en sommes plus là: la collégialité tant vantée du gouvernement n’est que formelle, chacun de ses membres gérant son pré carré sans se mêler des affaires du voisin et, surtout, de l’intérêt politique du pays. Nous avons là les symptômes annonciateurs d’une fin de régime.

La fin du régime – l’épuisement de la formule magique en vigueur depuis 1959 pour être clair – est évidemment l’objectif premier de la stratégie de Christophe Blocher. Il est possible qu’il atteigne partiellement son but l’an prochain en boutant hors du gouvernement l’un des deux représentants du PDC. Il ne lui faudrait dès lors pas très longtemps pour imprimer un important virage à droite et contraindre les socialistes à un positionnement idéologique plus rigide, voire à un retour dans l’opposition.

Sur le fond, ce à quoi nous assistons est un retour du refoulé autoritaire de la politique suisse. Le pays n’a jamais été à gauche, la gauche ne représentant, toutes tendances confondues qu’un tiers environ de l’électorat. Pour mesurer ce qui nous attend probablement ces prochaines décennies, il faut retourner à l’entre-deux guerres quand les grands partis, socialistes exclus, pratiquaient un autoritarisme corporatiste solidement ancré dans le “Il n’y en a point comme nous!” qui sombra avec la politique collaborationniste avec le IIIe Reich.

Pour se refaire une virginité, la classe politique suisse commença par se prosterner humblement devant les Américains. La guerre froide s’intensifiant, cette même classe politique réussit à jouer l’air de la concorde nationale en inventant la formule magique. Elle a fait son temps.

La mondialisation libère autant la politique que l’économie de ses carcans d’autrefois. Blocher l’a compris le premier et mène, précisément depuis l’effondrement du communisme, sa marche conquérante vers le pouvoir en utilisant au maximum le vieil atavisme xénophobe des Suisses. Si les radicaux et les démocrates-chrétiens ne se donnent pas la peine de repenser politiquement et organisationnellement leur centrisme, il seront écrasés par la pourtant très résistible ascension de l’UDC. Cela suppose de réfléchir en profondeur et d’aller plus loin que le nouveau gadget intellectuel couchepisnesque qui taxe droite et gauche de conservatisme, comme si lui seul allait de l’avant.

Mais il faut faire vite: l’incroyable acceptation par Zurich de l’initiative sur l’asile témoigne de la rapide détérioration du tissu politique. Cette ville, hier encore dynamique et triomphante, qui misait tout sur les contacts avec l’étranger, qui se voyait en petite métropole mondiale au point d’appeler son aéroport Unique Airport, a pris de tels coups ces derniers mois que cet accès de xénophobie peut annoncer une régression provinciale. En politique, ces inversions brutales laissent la voie libre à la réaction.