Le collectif Hacktivismo permet aux internautes de braver la censure, notamment en Chine et en Iran. Explications de son fondateur, Oxblood Ruffin.
On ne compte plus les sites attaqués par des «hacktivistes» se réclamant d’une cause politique. Les symboles capitalistes que sont Microsoft, Nike et le World Economic Forum en ont déjà fait la cruelle expérience.
Moins destructeur, mais tout aussi militant, le projet de Hacktivismo propose de venir en aide aux internautes vivant dans des dictatures, en créant des logiciels entièrement gratuits leur permettant de s’informer et de communiquer librement.
«La communauté internationale des hackers se doit de réagir» face à la censure étatique, estiment les membres de Hacktivismo. Dans une déclaration solennelle publiée sur leur site, ils s’engagent à fournir «des technologies permettant de passer outre les violations des droits à l’information».
Hacktivismo a été fondé il y a deux ans dans le sillage du mythique groupe de hackers américains Cult of The Dead Cow (cDc), devenu célèbre pour avoir créé des programmes permettant d’attaquer des ordinateurs mal protégés. Le collectif compte aujourd’hui une trentaine de membres bénévoles (pirates informatiques, défenseurs des droits de l’homme, artistes) répartis dans différents pays.
De leur effort commun est né Camera/Shy, un logiciel de cryptage qui permet de faire circuler l’information à la barbe des dictatures (lire ci-dessous). Cet outil est aujourd’hui largement utilisé par les dissidents chinois ou iraniens, explique Oxblood Ruffin, le pseudonyme que s’est choisi le membre fondateur de cDc et de Hacktivismo.
«J’ai reçu passablement de correspondance d’utilisateurs dans ces deux pays, explique-t-il par e-mail. Nous avons d’ailleurs des participants iraniens et chinois à l’intérieur même du groupe. Ils ont contribué à assurer que le logiciel soit largement distribué dans leur pays.»
Selon les statistiques publiées sur le site de Sourceforge, principal dépositaire du code, le programme a déjà fait l’objet de 31 000 téléchargements, dont 11 000 au cours du seul mois de juillet. Et cinq sites miroirs au moins proposent le même service. Mais la partie n’est pas gagnée, car les gouvernements visés ont aussitôt réagi en interdisant les sites où Camera/Shy est disponible. «Notre site est bloqué dans presque toute la Chine, tout comme Sourceforge et beaucoup des sites miroirs», indique Oxblood Ruffin. Les statistiques semblent confirmer ces difficultés d’accès, puisque le nombre de téléchargements sur Sourceforge est tombé à 6725 pour le mois d’octobre.
Au-delà des aspects pratiques, l’initiative de Hacktivismo suscite deux grandes interrogations de fond. La première concerne le danger que Camera/Shy ferait courir à ses utilisateurs s’ils sont pris. A cette question, le groupe répond en substance que les internautes sont conscients des risques et que le logiciel de cryptage répond à une réelle demande.
La seconde inconnue touche bien sûr la question du détournement de cet outil à des fins moins louables, notamment par des groupes terroristes ou des cercles pédophiles. Confronté à cette question récurrente, Hacktivismo répond que sa vocation «est de fournir des solutions techniques pour des personnes militant en faveur de la démocratie, et non pas d’aider des lanceurs de bombes et des abuseurs d’enfants. Camera/Shy bénéficie activement à la démocratie partout où la liberté est attaquée.»
Et pour bien faire comprendre son message, Oxblood Ruffin interpelle les fournisseurs de logiciels: «Comment les géants du software aident-ils la démocratie alors qu’ils vendent des logiciels de censure à la République populaire de Chine?»
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Hacktivisme
C’est la rencontre du militantisme et de la piraterie informatique. Contrairement au simple activiste – qui utilise les ressources du Net pour communiquer –, le hacktiviste développe et détourne la technologie pour faire avancer sa cause: engorgement de sites, logiciel de cryptage, virus, effraction.
Camera/Shy
Ce petit logiciel de chiffrement (1,28 Mo) développé en juillet dernier par le collectif Hacktivismo permet de dissimuler un texte dans une image, laquelle peut ensuite être envoyée par e-mail ou publiée sur un site. Il suffit alors de réutiliser le même logiciel (le processus s’appelle «stéganographie») pour déchiffrer le contenu, muni de la signature et du mot de passe du créateur de l’image, qui les aura envoyés à ses correspondants. Ce programme «open source» est disponible gratuitement, et peut être téléchargé puis effacé rapidement et sans laisser de traces.
Hacking
Le hacking ne se limite pas à la piraterie informatique. «C’est en fait un sport de contact, estime Hacktivismo. Nous voulons établir le contact avec un maximum de personnes. Les gouvernements qui essaient de diviser les gens au lieu de les réunir entrent en collision avec l’inévitable.»
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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 17 novembre 2002 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.
