Jeudi, Jiang a obtenu son dernier grand succès avec l’admission des capitalistes dans les rangs du parti. C’est le paisible avènement du national-communisme.
Et hop! Comme par un simple coup de baguette magique, les 2114 délégués au XVIe Congrès du Parti communiste chinois ont, en levant unanimement la main, expédié le quart de l’humanité dans un national-communisme d’autant plus triomphant que pour la première fois depuis la prise du pouvoir en 1949, le changement s’est opéré sans douleurs.
Ce Monsieur Jiang, celui qui s’est fait hué à Berne, est décidément un homme habile. Jeudi, à la fin du congrès, il a obtenu son dernier grand succès avec l’admission des entrepreneurs et capitalistes dans les rangs du parti communiste en application de sa théorie de la Triple Représentativité.
La Triple Représentativité? Pour s’en faire un idée, rien ne vaut l’original. Voici comment le camarade Jiang expliquait la chose, fin mai dernier, aux cadres du PCC:
- «La Triple Représentativité est la continuation du marxisme-léninisme, de la pensée Mao Zedong et de la théorie de Deng Xiaoping, et reflète les nouvelles exigences sur les activités de notre Parti et de notre Etat devant les changements en Chine et devant la situation internationale de notre époque.»
«La Triple Représentativité est une puissante arme théorique pour accentuer l’édification de notre Parti et promouvoir la perfection et la consolidation de notre système socialiste. Dans l’application de ces trois incarnations, le plus important est de mieux avancer avec le temps, mieux conserver le caractère d’avant-garde de notre Parti et mieux exercer le pouvoir au service de notre peuple.»
«Concrètement, nous devons accomplir «Quatre falloir» à savoir:
Il faut que notre Parti tout entier ait toujours un bon moral d’aller avec l’époque tout en continuant de frayer de nouvelles horizons pour le rayonnement de la doctrine marxiste; il faut que nous prenions le développement économique comme la tâche primordiale de notre Parti pour bien gouverner le pays et redresser la nation tout en continuant de créer de nouvelles situations pour la modernisation du pays; il faut mobiliser de façon la plus large et profonde tous les facteurs positifs tout en continuant d’accroître de nouvelle force pour la grande œuvre du renouveau de la nation chinoise; il faut enfin faire progresser l’édification du Parti dans un esprit de réforme tout en continuant de lui injecter de nouvelles vitalités.»
Vous avez compris? Moi non plus. Mais ce n’est pas grave car les faits sont plus instructifs que la théorie. Ce que l’ont sait depuis 1989 (révolte étudiante réprimée dans le sang à Tien An Men), c’est que la Chine est:
-Un Etat soumis à la dictature d’une oligarchie qui se maintient au pouvoir par la force, la corruption, la cooptation de ses membres, voire par hérédité.
-Un Etat où l’armée et la police sont les bras armés et dociles, du pouvoir.
-Un Etat dépourvu des libertés essentielles telles que les libertés de pensée, d’expression ou de croyance.
-Un Etat qui opprime ses minorités nationales tout en ayant des visées hégémoniques sur les minorités chinoises externes.
-Un Etat enfin qui a compris et intégré la maxime «business is business» et qui l’applique dans ses relations avec le reste du monde pour le plus grand bonheur des investisseurs et de l’OMC.
Ces quelques points, qui ne prétendent pas à l’exhaustivité, permettent de voir que la révolution est désormais très loin et que le pays s’est installé dans une normalité qui peut durer si le régime parvient à circonvenir les inévitables jacqueries que va susciter l’expulsion de dizaines de millions de paysans des campagnes profondes.
Cet avènement paisible du national-communisme chinois normalisé pose le cadre des rapports de force mondiaux pour les prochaines décennies: ce sera celui d’un face à face entre le pôle chinois et le pôle occidental. Entre deux, il n’y a pas d’autres forces émergentes.
Il y a une cinquantaine d’années, Tibor Mende, un politologue aujourd’hui complètement oublié, fascinait ses lecteurs en faisant miroiter l’avenir prometteur de sous-continents alors en ébullition comme la Chine, l’Inde et le Brésil.
Le Brésil et l’Inde sont toujours très prometteurs, mais les résultats se font attendre. La Chine, elle, déploie sa puissance et attire capitaux et investisseurs. Elle refuse certes de se plier à l’idéologie démocratique occidentale, mais personne ne lui en tient vraiment rigueur dans la mesure où elle respecte les échéances de ses traites.
En introduisant manu militari le marxisme en Chine, Mao Tsé-toung voulait l’occidentaliser à marches forcées. Cela a fonctionné jusqu’à un certain point: ce n’est pas l’idéologie qui s’est occidentalisée, c’est la loi du marché qui aujourd’hui américanise à grande vitesse une civilisation multimillénaire!
