La médecine est entrée dans une nouvelle époque. En éclairant notre patrimoine génétique, les tests présymptomatiques nous transforment tous en «sujets à risque». Vertige.
Vous vous souvenez de «Bienvenue à Gattaca»? En 1997, ce thriller d’Andrew Nicoll nous projetait dans une société futuriste régie par une sélection génétique.
Les humains y étaient divisés en deux catégories: les «valides», issus de sélections génétiques, occupaient des postes à responsabilité alors que les «non valides», susceptibles de connaître des problèmes de santé, étaient relégués à des emplois subalternes.
La fiction d’hier est en passe de devenir aujourd’hui réalité. Les tests génétiques présymptomatiques nous ont tous transformés en «sujets à risque». Nos projections dans l’avenir prennent la forme de calculs de probabilité. Un statut difficile à assumer. David Duncan, écrivain britannique de 44 ans, «heureux et en bonne santé», peut en témoigner.
Ce vulgarisateur scientifique n’a pas résisté à la curiosité de se soumettre à un tel test pour en parler en connaissance de cause dans son prochain ouvrage. Il a confié cette expérience originale au Sunday Times du 13 octobre 2002.
«Cet homme a vu son futur en décodant son ADN. Bientôt tout le monde fera comme lui… », a titré l’hebdomadaire londonien.
David Duncan prétend être le premier homme à avoir «lu le livre de sa propre vie et de sa propre mort». Certes, comme vous et moi, il se percevait déjà comme «sujet à risque». Or, le test l’a fait quitter une situation probabiliste pour entrer dans la certitude d’avoir effectivement des gènes défectueux.
«Je n’étais pas préparé au sentiment de vulnérabilité qu’a provoqué ce test», admet-il, tout en relevant qu’il aurait pu découvrir plus angoissant encore.
Pas trace de gènes de cancers ou des maladies de Huntington et d’Alzheimer. Ses gènes le prédisposent au diabète, à une maladie cardiaque et à des problèmes de pression sanguine. Connaître ce pedigree, somme toute favorable, n’en a pas moins bouleversé sa vie. «Mes mutations génétiques ont altéré mon regard sur moi-même», avoue-t-il avant de conclure, non sans humour, «je suis condamné à faire régulièrement de l’exercice physique…»
Curieusement, après des années de combat, les patients viennent enfin d’acquérir «le droit de savoir», et voici déjà que se profile un nouveau droit: celui de ne pas savoir.
Il y a été fait publiquement allusion lors du récent séminaire organisé par «Gen Suisse». Si les différents apports des tests génétiques ont été évoqués — dépistage précoce de maladies graves et diagnostic prénatal –, on n’a pas pour autant passé sous silence les problèmes éthiques qu’ils suscitent.
Une façon d’y remédier consiste à refuser de prendre connaissance de son patrimoine génétique. Le projet de loi adopté par le gouvernement suisse en septembre a d’ailleurs consacré ce «droit de ne pas savoir». Un droit qui génère à son tour de nouveaux dilemmes.
En effet, que faire des responsabilités vis-à-vis de la parentèle? «Vous ne voulez pas savoir pour vous, certes, mais s’il y a le moindre bénéfice à savoir pour quelqu’un de votre famille, vous n’avez pas non plus le droit de faire prendre des risques aux autres», estimait le chercheur Claire Nihoul-Fékété lors d’un colloque consacré à la relation médecin-malade face aux exigences de l’information.
Dans certains cas, le secret médical risque effectivement de mettre en danger bon nombre de personnes, parce que la maladie est familiale.
La science, par sa recherche d’explications causales et de lois prédictives, nous donne de plus en plus l’impression de réduire le champ de notre liberté (lire à ce sujet «La science est-elle inhumaine? Essai sur la libre nécessité» de Henri Atlan, aux éditions Bayard). Mais ne pas savoir, n’est-ce pas vouloir ignorer le déterminisme qui pèse sur nous et se donner l’illusion d’exercer son libre arbitre?
Spinoza, à l’aide! Ce philosophe du déterminisme, et sa façon originale de penser la liberté, peut nous servir de guide face aux problèmes liés aux actuelles avancées de la biologie. Spinoza, qui voyait le libre arbitre comme une illusion liée à notre ignorance des causes véritables, est en mesure de nous rassurer.
Selon lui, la connaissance infinie du déterminisme coïncide avec une liberté totale. Une expérience de la liberté qui ne saurait se confondre avec une résignation passive au déterminisme, et qui nous encourage à ne pas pratiquer la politique de l’autruche. A l’image du bien nommé Vincent Freeman, le héros de «Bienvenue à Gattaca» dont les qualités non contrôlables par la génétique incarnent la force de l’acquis sur l’inné.
