La bande-annonce de «Embrassez qui vous voudrez» montre Charlotte Rampling échanger un baiser furtif avec Carole Bouquet. Et si l’on s’arrêtait sur cette image-éclair?
Adapté de «Vacances anglaises», roman terriblement british de Joseph Connoly, «Embrassez qui vous voudrez» est au cinéma ce que les Galeries Lafayette sont à la mode: du griffé à portée de main.
Le réalisateur Michel Blanc a le sens du casting de marque et la générosité d’offrir à ses acteurs des rôles plus nuancés que le scénario ne le laissait supposer. Il est vrai qu’avec le Bronzé le plus pâle du Splendid, le rire est toujours teinté d’angoisse, l’enthousiasme miné par la désillusion et le rose des sentiments phagocyté par le noir des ressentiments.
Irrégulière, cette comédie maniaco-dépressive vaut essentiellement pour le couple burlesque Karin Viard/Denis Podalydès et pour celui formé par Carole Bouquet et Michel Blanc, dont la jalousie pathologique provoque des quiproquos à la chaîne.
Pour le reste, «Embrassez qui vous voudrez» est un vaudeville plutôt bien assumé, avec portes qui claquent et gifles qui volent, amants sortant du placard, femmes et maris volages et donc autant d’épouses et d’hommes trompés.
Mais attention, nous ne sommes plus dans le registre du XIXe siècle. Michel Blanc le sait et multiplie les combinaisons sexuelles: l’amant du PDG est transsexuel, la belle quinquagénaire retrouve le goût de vivre dans les bras du jeune fils de sa meilleure amie, la fille du PDG semble ne pas détester les partouzes et la réceptionniste de l’hôtel le bondage.
Mais dans ce jeu mondain du «qui baise qui», le prix de l’étreinte la plus inattendue revient à Charlotte Rampling et Carole Bouquet qui s’échangent un baiser furtif, interrompu par la visite inopinée d’un adolescent trop curieux. Une bonne partie de la promotion du film de Michel Blanc repose sur cette scène plus people que troublante, qui semble installer une nouvelle convention cinématographique: le baiser féminin comme point d’orgue de la bande annonce.
Chaque décennie est marquée par une image érotique et cinématographique forte. Les années 40 ont été celles de Gilda/Rita Hayworth incendiant le public avec son strip tease tout habillée. Les années 50 se souviennent de Marilyn Monroe faisant mine de baisser sa robe soulevée par le vent d’une bouche d’aération dans «Sept ans de réflexion».
La nudité sauvageonne et la liberté de mouvement de Brigitte Bardot ont influencé les années 60 tandis que la décennie suivante asseyait Sylvia Kristel dans le fauteuil en osier d’«Emmnanuelle». Les années 80 ont été celles de Kim Basinger et de Mickey Rourke dans «Huit semaine et demi», initiant la planète entière à leur érotisme «cadre supérieur new-yorkais».
Les années 90 ont rhabillé leur idoles, sublimant leur sexualité dans une imagerie glorieuse et épique tels Leonardo DiCaprio et Kate Winslet bandant leur torse à la proue du «Titanic.»
Le millénaire, lui, a commencé avec un baiser. Celui que s’échange en gros plan la brune et la blonde dans l’hypnotique «Mulholland Drive» (2001) de David Lynch. Une image quasiment identique figure en bonne place du catalogue festival Cinéma Tout Écran à Genève pour illustrer un film de télévision canadien, «Lola.»
Le baiser de «Mulholland Drive» a été suivi de deux autres au moins. Celui, à même le sol, que s’échangent Catherine Deneuve et Fanny Ardant dans «Huit femmes» de François Ozon, et celui, à la sauvette, de Charlotte Rampling et Carole Bouquet dans le marivaudage de Michel Blanc. Est-ce à dire que les femmes s’embrassent de plus en plus et que leurs histoires d’amour sont mieux représentées au cinéma? Non!
Quelle est la fonction de ces baisers féminins? Dans le cas de «Mulholland Drive», la scène draine tout un pan de l’histoire du cinéma, via le thème de l’identification féminine, qui va de «All About Eve» de Joseph Mankiewicz à «Persona» de Ingmar Bergman en passant par «Jeune fille cherche appartement» de Barbet Schroeder.
Mais surtout l’étreinte entre les deux filles a pour fonction de réactiver une qualité créée de toutes pièces par le cinéma: le glamour et le mystère. Comme le baiser d’avant guerre, il fait rêver, il est unique. A la fois crédible et artificiel, il n’existe que pour le cinéma.
Dans «Huit femmes» de François Ozon, le baiser se révèle ironique mais tout aussi cinéphilique. Il comprend un sous-texte: les deux femmes qui s’embrassent, la blonde Deneuve et la brune Ardant, ont toutes les deux été les amantes de François Truffaut.
Les réunir dans cette scène d’anthologie, c’est réussir à dépasser leur rivalité potentielle et se placer, lui François Ozon, comme l’héritier légitime du cinéaste du «Dernier Métro». Ce baiser entre les deux plus grandes stars françaises est une gageure, un défi, une réconciliation par le cinéma et pour le cinéma, avec un clin d’œil particulier à la carrière de Deneuve, habituée du baiser féminin (dans «Belle de jour», «Les Voleurs», «Les Prédateurs»).
Dans «Embrassez qui vous voudrez», la scène repose sur l’attraction opérée par les baisers précédents, ceux de «Mulholland Drive» et de «Huit Femmes». Il est référentiel, mondain, conceptuel, sans autre utilité que d’ajouter à la légende sulfureuse de Charlotte Rampling et à celle plus bourgeoise de Carole Bouquet. Il sert les actrices, pas forcément leurs personnages.
A ce titre, il est très, très, loin du baiser hollywoodien traditionnel, qui insinue le désir à venir, qui est le début de quelque chose. Dans les trois films précités, il n’y a pas d’après: le baiser féminin est une fin en soi, un spectacle, un plaisir pour les yeux; il ne s’adresse à personne d’autre qu’au spectateur.
