Les opérateurs ont identifié les «gamers» comme une nouvelle cible. Des milliers de divertissements destinés aux téléphones portables seront commercialisés dès l’an prochain, notamment grâce au Suisse Esmertec.
En Suède, des milliers de citoyens se tuent dans les rues. Dès qu’ils se trouvent suffisamment proches de leur cible, ils sortent leur fusil et tirent. La Scandinavie, pourtant civilisée, est devenu en quelques mois un immense terrain de violence et d’anarchie. Un terrain de jeu.
Dans Botfighters, commercialisé par la firme suédoise It’s Alive, les joueurs reçoivent des missions personnelles et utilisent leur cellulaire pour se tirer dessus virtuellement. Dans la réalité, ils s’envoient des SMS. Localisés par le réseau de l’opérateur, les joueurs sont avertis dès qu’ils approchent physiquement d’un ennemi virtuel.
«Pour constituer son environnement 3D, le joueur se connecte d’abord sur le net, où il peut choisir son look et ses armes, explique Sven Hålling, patron de la société It’s Alive. Pour l’instant, les téléphones ne permettent pas d’afficher un graphisme très élaboré, mais nous n’en sommes qu’au début. Dans quelques mois, 20 à 30% des détenteurs de mobile joueront régulièrement à des jeux en réseau.»
Grâce aux liaisons GPRS, qui facturent les connexions en fonction de la quantité de données transmises et non au temps, les usagers sont reliés en permanence au réseau sans que cela ne leur coûte une fortune: peu de données circulent entre deux joueurs, à part leurs coordonnées. «Les participants s’affrontent en continu, où qu’ils soient, c’est ce que nous appelons le «pervasive gaming» (jeu universel), poursuit Sven Hålling. Nous avons déjà lancé ce service en Suède, en Finlande, en Irlande et en Russie. Ces jeux vont se développer très rapidement dans le reste de l’Europe.»
L’usage du mobile comme plate-forme de jeu s’impose aussi en Asie. Aujourd’hui, si les écoliers japonais réclament des nouveaux téléphones mobiles à leurs parents, ce n’est pas pour communiquer, mais pour remplacer leur ancien GameBoy. Les derniers modèles des fabricants asiatiques sont devenus si performants qu’ils peuvent aisément remplacer les mini-consoles portatives.
D’ailleurs, signe de cette évolution, l’opérateur télécoms NTT Docomo sponsorisait le Salon du jeu vidéo qui s’est achevé la semaine dernière à Tokyo. Une preuve de plus de l’intérêt croissant du secteur des télécommunications pour l’univers des gamers.
Les nouveaux modèles de téléphones sont équipés d’écrans larges à 65’000 couleurs, d’un son stéréo puissant et riche, ainsi que d’un processeur rapide permettant de traiter l’animation d’images, y compris en 3D. «Pour les constructeurs de mobiles, le jeu constitue un bon moyen de favoriser le renouvellement des appareils, explique Bruno Giussani, spécialiste de la téléphonie mobile et auteur du best-seller Roam (Ed. Random House). L’arrivée des écrans couleur de haute définition a dopé le marché asiatique. En Europe, où ces écrans commencent seulement à s’imposer, le phénomène est moins rapide. Mais les nouvelles possibilités du système Java, qui équipera petit à petit les nouveaux modèles, va certainement initier le processus.»
Le standard Java, développé par le constructeur américain Sun, fonctionne comme un environnement logiciel permettant d’exécuter des programmes complexes sur toutes sortes d’appareils électroniques, dont les téléphones mobiles. Moins cher, plus ouvert et flexible que son concurrent japonais i-mode, ce standard a été choisi par la plupart des opérateurs européens, à l’exception de quelques compagnies en Allemagne, en Hollande et en France (le groupe Bouygues, notamment, a annoncé cette semaine que son offre i-mode sera disponible en novembre).
C’est une firme suisse, Esmertec, qui a développé l’interpréteur Java le plus rapide du monde pour les téléphones mobiles. Raison pour laquelle Esmertec a été récemment sélectionnée par le magazine Time comme l’une des entreprises les plus prometteuses d’Europe.
«Il n’existe encore que peu de cellulaires qui exploitent le système Java, mais le marché va se développer très rapidement dès janvier 2003, estime Hans-Ruedi Heeb, cofondateur d’Esmertec. Java n’est pas une technologie compliquée et on peut l’installer sur des téléphones bon marché d’entrée de gamme. D’ici à deux ans, tous les appareils en Europe seront compatibles.»
Et quelle sera l’application principale utilisant Java? «Les jeux!» répond sans hésiter Hans-Ruedi Heeb. «Les jeunes sont déjà accros à des programmes très simples, on le voit en Scandinavie. Le marché progressera rapidement avec l’arrivée de meilleurs produits. En Suisse, on est très en retard à cause de la lenteur des trois opérateurs mobiles, mais ils suivront finalement le mouvement.»
Les fabricants de jeux vidéo japonais et américains ont déjà lancé des versions de leurs programmes destinées aux téléphones i-mode de l’opérateur japonais NTT-Docomo. «I-mode et Java sont très proches et ce n’est pas compliqué pour les développeurs d’adapter ces mêmes jeux aux nouveaux téléphones européens, poursuit Hans-Ruedi Heeb. On verra donc rapidement arriver des milliers de jeux vidéo à télécharger sur les mobiles.»
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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 13 octobre 2002 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.
