Finis les instruments, les musiciens d’avant-garde optent pour le PC qui permet de composer, interpréter et même enregistrer. Kraftwerk, Björk et le Suisse Seelenluft n’utilisent plus que leur portable.
Un signe qui ne trompe pas. En concert à Paris il y a dix jours, le groupe Kraftwerk, éternel pionnier de la musique électronique, est apparu sur scène sans le moindre synthétiseur. Les musiciens se contentaient de contrôler des ordinateurs posés devant eux, sur d’élégants pupitres. Quatre hommes, quatre laptops. Et c’est tout. L’ensemble des morceaux entendus pendant les deux heures de spectacle – depuis The Model jusqu’au légendaire Trans Europe Express –, avec mélodies surround et infrabasses d’une richesse inouïe, provenaient de ces quatre minuscules valises électroniques. Seuls subsistaient un micro et un clavier.
On a changé d’époque. Le portable équipé d’un logiciel adéquat peut désormais remplacer n’importe quel instrument ou orchestre, avec une qualité sonore apte à tromper les oreilles les plus exigeantes. Kraftwerk, encore une fois en avance, vient de remplacer toute sa quincaillerie électronique par quatre légers Sony Vaio équipés du logiciel musical Steinberg Cubase SX, à la faveur d’un contrat de sponsoring exclusif.
D’autres vedettes de l’avant-garde, comme la chanteuse Björk ont également choisi de passer au laptop pour composer, interpréter et même enregistrer. La nomade islandaise a pris l’habitude de brancher des mini haut-parleurs sur son portable pour créer «une bulle sonore dans laquelle on peut exister: un paradis», déclarait-elle ce printemps au magazine Wired. Elle utilise notamment le logiciel Sibelius, de l’entreprise biennoise Giant, qui émule tous les instruments d’un orchestre symphonique. Et pour enregistrer sa voix directement sur le laptop, elle y connecte un appareil MOTU 828 par un port à très haut débit (Firewire), ce qui lui assure une qualité sonore optimale.
Qu’ils soient issus du rock (Radiohead) ou du hip hop (Antipop Consortium), la plupart des musiciens innovateurs se sont initiés au PC. Les machines, qui seront bientôt moins chères que des instruments traditionnels, vont forcément donner naissance à de nouvelles formes musicales. Une sorte de folk électronique? Björk compare déjà la simplicité d’usage du laptop à celle d’une guitare sèche. Quant au musicien zurichois Seelenluft, il vient d’enregistrer l’un des albums les plus excitants de l’année avec pour seul bagage un Macintosh G4 portable équipé du logiciel Logic Audio et de quelques plug-in. «On assiste depuis deux ans à une formidable révolution, dit-il. Avec un portable, on peut émuler n’importe quel instrument, composer en direct, imprimer les partitions et enregistrer un disque en voyage, jusqu’au stade final du mastering. Les synthétiseurs vintage et les samplers n’ont plus beaucoup de valeur. Ils appartiennent aux années 90. L’instrument de la nouvelle décennie, c’est définitivement le laptop.»
Seelenluft, musique portable
Cet été, la presse anglaise (The Face, Time Out) s’est enthousiasmée pour le Zurichois Seelenluft, publiant des critiques élogieuses de son nouvel album. Une musique qui évoque un film d’espionnage en apesanteur, peuplé de touristes exotiques… «J’ai composé mon album en trois mois à Los Angeles, avec seulement mon laptop, raconte Beat Solèr, alias Seelenluft. L’ordinateur m’a aussi permis d’enregistrer des musiciens amateurs, et de les intégrer aux morceaux.»
Le mixage et le «mastering» ont également été effectués à partir du portable. Les 8’000 exemplaires du pressage initial devraient être écoulés rapidement, mais malgré l’excellent accueil critique, Seelenluft ne parvient pas à vivre de sa musique. Il ne gagne qu’un franc environ par disque et ne reçoit aucune subvention – mis à part un prix de la Ville de Zurich de 40’000 francs, obtenu l’an dernier.
Beat Solèr doit donc travailler – en tant que graphiste indépendant – pour financer sa création. «La technologie est ambivalente, dit-il. Grâce au PC, elle permet d’enregistrer de manière professionnelle avec très peu de moyens. Mais c’est cette même technologie qui facilite le piratage et pénalise les artistes. Les temps sont durs pour les musiciens indépendants.»
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«Out Of The Woods», de Seelenluft. Klein Records.
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Sony Vaio FX 800, dès 2000 fr.
Steinberg Cubase, dès 1200 fr.
MOTU 828, dès 1200 fr.
Sibelius, dès 1090 fr.
