L’équipe de la Maison Blanche chargée d’assurer la sécurité informatique des États-Unis a dévoilé à la mi-septembre son nouveau plan intitulé «Stratégie nationale pour la sécurité du cyberespace».
Elle invite citoyens et entreprises à se charger de la sécurité du pays face aux menaces que représentent les virus et autres attaques électroniques, qu’elles soient dirigées contre l’Etat, l’économie ou les individus.
La présentation a eu lieu à l’Université de Stanford, dans le cœur de la Silicon Valley, devant de nombreux dirigeants des entreprises informatiques. La plupart des personnes présentes ont salué cette initiative généralement qualifiée de «premier pas dans la bonne direction». Mais les spécialistes de la sécurité (qui sont généralement des faucons en termes politiques) l’ont jugée insuffisante en raison du manque de mesures contraignantes.
Robert Mueller, directeur du FBI, a déclaré qu’en matière de sécurité informatique, «tout le monde a un rôle à jouer, qu’il s’agisse de la maman ou du papa qui cherche une bonne occasion sur le Web ou des entreprises qui ouvrent de nouveaux domaines dans le cyberespace.»
Dans cette logique, une partie essentielle du plan de la Maison Blanche consiste à inviter les usagers à se doter de logiciels anti-virus ainsi que de systèmes de protection des données (pare-feu ou firewalls). Les fournisseurs d’accès sont notamment invités à faciliter l’acquisition de tels programmes par leurs clients.
Mais les spécialistes de la sécurité ne sont pas emballés par ces recommandations. Ils disent que la cybersécurité est un problème trop difficile pour qu’une approche volontariste suffise à le régler. Les entreprises, affirment-ils, ne modifieront leur comportement que quand les forces du marché et la législation les y obligeront.
Les recommandations aux citoyens et aux entreprises s’accompagnent d’un interventionnisme accru des autorités. Depuis quelques mois, les mesures technologiques de sécurité ont également pris la forme de caméras de surveillance installées dans un nombre croissant de lieux publics. En février de cette année, on en comptait près de 2 millions sur le territoire des États-Unis.
Bill Brown, défenseur new-yorkais des libertés civiles, affirme en avoir localisé plus de 5’000 dans Manhattan. Elles enregistrent 75 fois par jour l’image du passant moyen.
Toutes ces mesures ont été considérablement renforcées depuis les attaques terroristes du 11 septembre 2001. Dans cette perspective, le texte le plus significatif est certainement le «USA Patriot Act» du 26 octobre 2001, qui donne au ministère de la justice de nouvelles libertés pour écouter les conversations téléphoniques et surveiller la navigation sur le net.
L’Electronic Frontier Foundation, une organisation basée à San Francisco, en fait l’analyse suivante: «Avec cette loi, nous avons renforcé les pouvoirs des forces de l’ordre, et nous avons éliminé les contre-poids qui permettaient aux tribunaux de s’assurer qu’il n’y avait pas d’abus de pouvoir.»
En avril 2002, un sondage de CBS a montré que 77% des Américains étaient en faveur de l’installation de caméras autour des monuments publics, et que 70% acceptaient de céder une partie de leurs libertés au nom de la lutte contre le terrorisme.
En plein boom de la nouvelle économie, John Markoff, du New York Times, avait écrit que le danger ne provenait plus de Big Brother mais de ses «little sisters», les entreprises privées qui, pour des raisons commerciales, épient nos goûts pour mieux nous offrir des produits auxquels nous ne saurions résister.
En cette fin 2002, la triste vérité, c’est que nous sommes surveillés par toute la famille, grand frère et petites soeurs. Et le risque de les voir collaborer (volontairement ou sous injonction des autorités) est chaque jour plus grand.
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Francis Pisani, journaliste, vit à San Francisco. Il travaille régulièrement pour Largeur.com.