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L’horreur au bout du Natel

L’usage du portable peut donner lieu à des scènes effroyables. Personne ne vous appelle, et pourtant, votre téléphone sonne. Une drôle d’histoire, en direct du salon de coiffure.

J’aime beaucoup Mercedes. C’est une fille adorable et sensible, une sorte de Mary Poppins orientale.

Pourtant, la première fois que je l’ai vue au salon, il y a environ cinq ans, mon impression fut mitigée. Ce n’est pas son apparence qui me heurta (au contraire, elle portait sa trentaine avec panache et gaîté), mais son métier. Dentiste!

J’ai toujours détesté les dentistes. Pour moi ce sont des charcutiers en gants de latex, des médecins qui ont raté leurs études, des sadiques remboursés par la Sécurité sociale. Un jour, je lui ai posé la fameuse question: comment peut-on être… dentiste?

Mercedes éclata de rire. Elle m’expliqua que j’avais les mêmes préjugés sur son métier qu’elle en avait sur le mien. Elle considérait les coiffeuses comme des castratrices de petite envergure, des fétichistes de l’infinitésimal, des greffières du bigoudi.

Je fus un peu secouée par ces comparaisons, mais son sens de la répartie fut plus fort que ma vexation. De ce jour, je considérais Mercedes autant comme une amie que comme une cliente. C’est pourquoi lorsque je l’ai vue se décomposer la semaine dernière en écoutant son Natel, j’ai éprouvé autant de tristesse qu’elle de rage et de colère.

J’ai déjà entendu beaucoup d’histoires de téléphones portable, et j’en ai déjà raconté plusieurs. Mais jamais encore je n’avais été le témoin direct d’une scène aussi violente, et pourtant muette.

J’étais en train de lui poser la couleur quand son portable s’est mis à sonner. Mercedes me demanda de l’excuser; elle attendait un téléphone important de sa fille Anaïs, sept ans, invitée à un goûter d’anniversaire.

La petite, une jolie rousse aux yeux verts, portrait craché de son père, lui avait promis de l’appeler pour lui dire à quelle heure passer la prendre.

Son sourire était plein de bonheur quand Mercedes pressa l’appareil contre son oreille, hurlant un «allô» d’une voix d’ogre (c’est le ton qu’elle employait pour faire rire sa fille à l’autre bout du fil).

Devant le silence à l’autre bout des ondes, Mercedes répéta «allô» une dizaine de fois, d’abord amusée, puis excédée, enfin inquiète. Elle décolla le téléphone pour vérifier le numéro d’appel. Après l’avoir identifié, elle le reposa, plein de colorant, sur l’autre oreille.

Son sourire se mit alors à rétrécir et les muscles de sa mâchoire à se contracter. Son front se plissa, les ailes de son nez aussi, sa bouche se serra dans une grimace que je ne lui avais jamais vue.

Après avoir reposé son portable, elle me regarda dans le miroir, l’air hagard. Des larmes coulaient sur ses joues. Elle n’y prêta aucune attention. Puis son corps tout entier fut secoué de sanglots.

Je n’osais rien lui dire, me contentai de lui mettre la main sur l’épaule et de la lui presser tendrement. Après dix minutes, elle laissa échapper:

-Fred me trompe. Mon mari me trompe, Alice, voilà ce que je viens de découvrir!

-Un téléphone anonyme?

-Non, c’était lui, en direct, avec sa maîtresse. J’ai tout entendu, dit-elle les yeux exorbités d’épouvante.

-Mercedes, vous rêvez….Jamais Fred n’aurait le sadisme de vous téléphoner pour vous l’annoncer…

-Mais il ne le sait même pas! Le téléphone s’est enclenché à son insu, sur le dernier numéro composé. J’image qu’il l’a pressé par inadvertance, dans le feu de l’action. Quel salaud! Quelle ordure! J’ai tout entendu. Des mots, des cris, des halètements, des soupirs, des mots crus tout, tout. C’était sa voix! J’ai même reconnu son râle de jouissance….Ignoble!

Que pouvais-je faire devant un tel effondrement? Bêtement, je continuai mon travail sans rien dire, tendant parfois un kleenex à Mercedes, devenue méconnaissable sous le masque de la douleur.

Pendant un quart d’heure, elle pleura en silence, tandis que mécaniquement je lui enlevai la couleur, lui lavai les cheveux et lui posai un baume nourrissant. Dérisoire!

Mercedes revint à elle au moment où son portable sonna les deux coups qui annoncent l’arrivée d’un SMS. A la lecture de ce message, elle fut saisie d’un rire encore plus violent que ne le furent ses larmes.

Elle me tendit l’écran de son Natel où je pus lire: «Journée pénible. Je pense à ma petite femme. T’aime comme jamais. Fred»