CULTURE

Autoportrait de Catherine Breillat avec pied dans le plâtre

Elle n’a jamais filé qu’une seule métaphore: le sexe comme voie royale de la connaissance de soi et, par ricochet, comme révélateur des mécanismes d’oppression. Son nouveau film, très drôle, est sur les écrans.

Catherine Breillat n’est pas née avec «Romance» (1999), même si le film, rendu très attractif par la participation généreuse du hardeur Rocco Siffredi, l’a fait connaître dans le monde entier.

Avant «Romance», avant ce théorème sur le désir féminin qui a failli être classé X, la réalisatrice avait déjà un passé très composé et houleux.

A la fois scénariste (notamment de «Police» de Maurice Pialat mais aussi de «Bilitis»), romancière (dix romans à ce jour, dont le premier, «Un homme facile», publié en 1968 alors qu’elle n’avait que vingt ans) et cinéaste, Catherine Breillat n’a pourtant jamais filé qu’une seule métaphore: le sexe comme voie royale de la connaissance de soi et, par ricochet, comme révélateur des mécanismes d’oppression.

Dès son premier film, «Une vraie jeune fille» (1976), adapté de son roman et tourné en équipe réduite (quatre techniciens issus du porno), Catherine Breillat tourne «avec l’idée d’aller plus loin que ce que le public peut supporter». Le film, interdit au moins de 18 ans, est un échec. On l’accuse de pornographie alors qu’elle exècre la pornographie «qui avilit et nous rend coupables». Le malentendu deviendra chronique.

Dans «36 Fillette» (1987), œuvre vigoureuse et impudente qui raconte la relation ambiguë entre une adolescente provocante et un dragueur quadragénaire, la réalisatrice en découd avec le mythe du Prince charmant.

Son film suivant, «Sale comme un ange» (1990), avec Claude Brasseur et Lio, prend prétexte du polar classique pour montrer l’incapacité d’aimer et la violence que cette impuissance engendre. «D’un noir d’encre, le film va choquer, déranger, provoquer», écrivait déjà Michel Pascal dans «Le Point». Moins pourtant que «Parfait amour!» (1996), autopsie d’une passion sexuelle entre une bourgeoise mûre et un jeune voyou.

La scène finale qui montre l’amant en train de sodomiser sa maîtresse avec le manche d’une pelle à balayette a eu raison du public pourtant avisé du festival de Cannes, qui l’a hué. «Parfait amour!» n’en reste pas moins l’un des films les plus honnêtes sur ce qui peut pousser un être à en liquider un autre.

Comme Marguerite Duras, dont elle voulait récemment adapter «La maladie de la mort» avant que les droits ne lui soient refusés, Catherine Breillat décline à l’infini quelques motifs, toujours les mêmes, qui hantent son petit théâtre personnel: l’éveil sexuel des adolescentes; la guerre que se mènent les hommes et les femmes; la peur des hommes devant la jouissance féminine qui fonde, selon elle, à la fois la pornographie et le fanatisme religieux; l’imposture que représente la sentimentalité; la beauté qui doit être une victoire sur la douleur; et l’étude des tyrannies, celle du metteur en scène par exemple, «qui ne sait rien faire et qui le fait faire aux autres».

Toutes ces pistes sont présentes dans son dernier film, de loin le plus drôle de sa carrière.

«Sex is comedy» est une sorte de «making of» fictif de son long métrage précédent, «A ma sœur», tourné en 2000 avec la même Roxane Mesquida dans le rôle de l’adolescente, et les mêmes plages d’Atlantique comme décor. Anne Parillaud, magnifique, joue le rôle de Jeanne, une metteuse en scène qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Catherine Breillat, tandis que Grégoire Colin remplace avantageusement l’acteur italien niaiseux de la version initiale.

C’est un film sur le tournage d’un film, un peu comme «La Nuit américaine» de Truffaut, sauf que le film existe déjà en partie et que seules les scènes sexuelles intéressent Catherine Breillat – ce qui nous vaut quelques moments fort amusants sur la fabrication et les coulisses des scènes sexuelles!

On le sait, la cinéaste de «Romance» aime travailler au corps ses comédiens pour qu’ils sortent des limites d’eux-mêmes et de l’image qu’ils se font de l’impudeur.

«C’est quand on ne veut pas être obscène qu’on le devient», fait-elle dire à Anne Parillaud. Pour obtenir cette vérité, elle n’hésite pas à entretenir avec les acteurs – moins avec les actrices – des rapports extrêmes, faits d’humiliations, de peurs, de menaces, de mises en joug, de séduction, de drague, d’admiration et de reconnaissance.

Derrière cette guerre des tranchées se joue pourtant quelque chose comme une déclaration d’amour éperdue aux comédiens, «matière première du film, puisque le cinéma c’est l’incarnation!»

Catherine Breillat a la réputation d’être une teigne qui abuse de son pouvoir, une mégalomane narcissique qui empoissonne son environnement, une obstinée obsessionnelle qui impose et dispose, qui se contredit et qui le revendique comme une liberté, une bavarde qu’on ne peut jamais arrêter, une femme qui souffre, qui aime le cinéma plus qu’elle même, qui se cache le visage devant les scènes crues qu’elle appelle pourtant de ses vœux, une pythie visionnaire, une gamine qui veut toujours avoir raison, un clown méchant, une casse-couille qui prend plaisir à défier la virilité des hommes – ici par l’usage grotesque et tendre d’une immense prothèse portée par l’acteur: un beau personnage de cinéma.

Elle est effectivement tout cela puisque c’est ainsi qu’elle apparaît sous les traits d’Anne Parillaud.

En témoignant si précisément de sa manière de travailler et en mettant dans la bouche de son actrice son propre discours, Catherine Breillat brosse son autoportrait. Elle le fait avec une absence de complaisance qui l’honore. Et avec cet humour très particulier, assez vrillé, à l’image de ce détail piquant, pur jeu de mot visuel, le pied dans le plâtre d’Anne Parillaud: oui, Catherine Breillat est une véritable casse-pieds.