Aux premiers jours des vacances scolaires, Tenoch et Julio laissent partir leurs petites amies pour l’Italie en leur faisant promettre qu’elles ne les tromperont pas.
Leurs adieux, très physiques, sont filmés avec un enthousiasme rare au cinéma. A la fois drôles et réalistes, peu érotiques mais proches des premières fois vigoureuses et précipitées, leurs galipettes donnent tout de suite le ton: «Y tu mama tambien» sera une comédie décomplexée, très éloignée par le ton et l’esthétique de la gaudriole puritaine d’un «American Pie», par exemple.
Ici, le sexe occupe une place centrale, à la fois révélateur des comportements et inépuisable source de vie et de liberté.
Le cinéaste mexicain Alfonso Cuaron sait que la sexualité est un langage, à la fois intime et social, et qu’il suffit de montrer ses deux héros en pleine action pour les identifier illico dans leur rapport aux autres, mais aussi dans la connaissance qu’ils ont d’eux-mêmes.
Mieux, le réalisateur construit les deux personnages masculins de «Y tu mama tambien» et leur évolution vers la maturité à partir de leur rapport au sexe: dis-moi comment tu baises et je te dirais qui tu es.
Au début du film, quand on les voit travailler leurs copines avec frénésie et distraction, on comprend le statut de Tenoch, fils de riche, et Julio, son ami d’enfance, deux adolescents régis par leurs hormones, hédonistes et vantards, que rien n’intéresse dans la vie sinon le sexe, le leur de préférence, justifiant pleinement le qualificatif de «branleurs» qui leur colle à la peau.
Et quand à la fin du film, après avoir été jusqu’au bout de leur logique adolescente et machiste, consommant avec une telle aisance ce qu’ils pouvaient redouter le plus, ils se regardent interloqués, on comprend aussi le chemin parcouru.
Mais ce chemin, ils ne vont pas le parcourir seuls. Avant de sillonner les routes mexicaines à bord de leur voiture pourrie, ils auront rencontré Luisa (Maribel Verdu), belle femme mariée de 28 ans, qu’ils embarquent dans leur aventure pensant trouver grâce à elle le moyen de devenir des hommes plus rapidement.
Qu’est-ce qui pousse Luisa, épouse d’écrivain, à suivre ces deux glandeurs? Qu’attend-elle de ces deux gamins qui se prennent pour des étalons? Que veut-elle oublier pour quitter aussi brusquement sa vie de bourgeoise? Le film résoudra cette énigme tout à la fin, éclairant d’un soleil noir ce road movie que l’on croyait être un récit d’initiation sexuelle et qui, par sa gravité, se révélera un roman d’apprentissage de vie.
D’ailleurs, tout le film de Alfonso Cuaron est contruit sur le principe de l’arbre qui cache la forêt, c’est-à-dire du sexe qui cache la mort.
Avec une légereté qui confine parfois au cynisme, Alfonso Cuaron filme, l’air de rien, à travers les vitres sales d’une voiture, des scènes terribles de la vie quotidienne mexicaines – arrestations de paysans dépossédés de leurs terres, omniprésence de l’armée, scènes de famine ordinaire etc. – tandis que Tenoch et Julio parlent de cul en pouffant de rire, encouragés par une Luisa qui sait trop bien ce qui se passe à l’extérieur et qui, faussement libertine, tente de faire reculer l’échéance qui les attend tous.
Si «Y tu mama tambien» se distingue des autres productions adolescentes pour adolescents, c’est aussi par l’usage de sa voix off, très littéraire, interventionniste, et particulièrement intriguante. Qui parle? On ne le sait pas. En tout cas pas l’un des protagonistes puisque cette voix connaît le passé et l’avenir de chacun, et même le destin des personnages secondaires croisés sur la route.
Quand elle prend la parole, le silence se fait dans le plan. C’est à la fois la voix de l’auteur, de l’histoire et de Dieu. Elle met à distance ce que l’on voit, tout en rapprochant des éléments que l’on pensait étrangers. Elle est la conscience de ce film qui combine road movie et portrait en pointillé d’un Mexique contemporain, qui aurait trouvé en Alfonso Cuaron la truculence d’un conteur et le scepticisme d’un philosophe.
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«Et…ta mère aussi» («Y tu mama tambien»), d’Alfonso Cuaron (Mexique 2001), avec Diego Luna, Gael Garcia Bernal et Marbel Verdu.