Depuis la Coupe du monde, les programmes de la télévision nationale gouvernementale sont régulièrement piratés, remplacés par des slogans. Reprimé par Pékin, le mouvement spirituel utilise ainsi une nouvelle forme d’activisme.
Le 23 juin dernier, en pleine Coupe du monde, les téléspectateurs du Nord-Est de la Chine ont eu une drôle de surprise. A 19 heures précises, les programmes de la télévision nationale CCTV (China Central Télévision Channel) ont été interrompus: certains écrans sont devenus blancs, ou ont affiché durant 20 secondes des slogans comme «Le Fa Lun Gong est bon» ou des images d’exercices de masse effectués par des adeptes de ce mouvement d’inspiration bouddhiste-taoïste.
Ces interférences se sont répétées durant toute la semaine, aux heures de forte audience, perturbant ainsi les retransmissions de la Coupe du Monde de football et les cérémonies officielles marquant le cinquième anniversaire de la rétrocession de Hong Kong à la Chine.
De quoi faire enrager les autorités chinoises, qui ont déclaré le Fa Lun Gong illégal en 1999 à la suite d’une manifestation surprise au cours de laquelle 10’000 adeptes avaient entouré pacifiquement les bâtiments du gouvernement à Pékin afin d’obtenir une reconnaissance officielle de leur mouvement.
Depuis, la répression de ce groupe et de ses membres s’est avérée implacable et les condamnations à des lourdes peines se sont multipliées. Le Fa Lun Gong, dont le chef spirituel, Li Hongzhi, vit en exil aux Etats-Unis, n’a pas revendiqué ces piratages, mais Pékin a publiquement accusé le groupe, qu’il considère comme un «culte diabolique», d’en être l’auteur au cours d’une conférence de presse mise sur pieds à la hâte le 8 juillet.
C’est la sixième fois depuis le début de l’année que des piratages ont lieu sur les ondes chinoises, mais jusqu’aux perturbations de juin, ces émissions illégales s’étaient limitées à des chaînes de télévision locale câblées. Des vidéos du Fa Lun Gong avaient alors été diffusées. Mais cette fois-ci, la technique est beaucoup plus sophistiquée, puisque c’est le satellite Sinosat-1 qui était visé par les pirates. Sinosat-1 retransmet quelque 46 chaînes chinoises et étrangères.
Pour ne pas créditer le groupe de compétences extraordinaires, les officiels chinois cherchent à minimiser la portée technique de l’incident. Ils excluent également que le Fa Lun Gong ait obtenu des codes d’accès auprès d’un informateur interne. «Il suffit d’acheter l’équipement adéquat sur le marché et d’avoir les connaissances nécessaires pour analyser notre signal. Ceci peut être fait depuis l’extérieur et ne requiert pas d’information venant de l’intérieur», a ainsi déclaré un officiel chinois cité par le South China Morning Post à Hong Kong.
Peut-on facilement hacker un satellite? Le Professeur Serge Vaudenay, directeur du Laboratoire de sécurité et de cryptographie de l’EPFL, estime pour sa part que tout dépend de la manière dont le satellite est protégé. «Des failles dans le système peuvent permettre de perturber assez facilement le signal», explique-t-il.
Un avis que partage Etienne Hertsens, responsable technique du réseau eurovision de l’Union européenne de radiodiffusion (UER). «Les satellites sont finalement assez vulnérables et il est tout à fait possible d’écraser le signal existant pour en superposer un autre. Cela demande des sérieuses connaissances techniques bien sûr, mais le matériel nécessaire peut effectivement être acquis sans trop de difficultés. Par contre, retrouver les pirates en traquant l’émetteur illégal par des calculs de triangulation requiert des moyens très sophistiqués», explique-t-il.
La Chine a demandé l’aide des pays asiatiques voisins afin d’identifier la source de ces perturbations. Au final, il semble donc que les autorités chinoises soient relativement démunies face à cette nouvelle forme de contestation. «Il est possible d’augmenter la puissance du signal du satellite afin que la transmission illégale ne puisse pas couvrir l’existant, mais là cela devient une course poursuite», ajoute Etienne Hertsens.
Le Fa Lun Gong a une fois de plus fait démonstration de ses ressources, tant humaines que techniques et financières en menant à bien cette opération audacieuse. Ces piratages correspondent également à un changement de stratégie du groupe dans sa lutte contre le gouvernement chinois.
En choisissant la contre-propagande d’une manière aussi efficace que spectaculaire dans le Nord-Est, le Fa Lun Gong vise des régions très sensibles, où les manifestations ouvrières sont fréquentes. Si les chômeurs s’alliaient aux membres du Fa Lun Gong dans leur lutte contre le gouvernement, la situation pourrait potentiellement dégénérer en une rébellion à large échelle. D’où la grande peur des autorités chinoises face à ce groupe très organisé, qui affirme compter 80 millions d’adeptes en Chine.
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Madeleine Brot, journaliste, a été longtemps correspondante en Chine pour de grands journaux francophones.
