TECHNOPHILE

Comment TiVo révolutionne le modèle économique de la télé

Le magnétoscope numérique enregistre automatiquement les programmes sur disque dur en fonction des goûts du téléspectateur. Il permet d’éviter les écrans de pub. Polémique.

Samedi dernier, en allumant leur téléviseur à l’heure du petit-déjeuner, quelques fans américains de «soccer» ont pesté contre la technologie numérique. Ils avaient programmé leur appareil TiVo pour qu’il enregistre le match Allemagne-Paraguay pendant la nuit. Mais au petit matin, déception, le match n’était pas stocké sur leur disque dur. L’enregistreur n’avait pas eu connaissance des changements de programme décidés pendant la nuit par la chaîne ESPN.

Au siège de TiVo, on ne se soucie pas trop de ce mauvais coup de pub. Depuis deux ans, la jeune compagnie californienne multiplie les succès commerciaux, au point d’inquiéter les grandes chaînes. Plus de 400’000 ménages se sont déjà abonnés à son service d’enregistrement numérique qui permet au téléspectateur, pour 13 dollars par mois (environ 20 francs suisses), de visionner ses émissions préférées à l’heure de son choix. Et, accessoirement, de passer en accéléré les blocs publicitaires.

Nettement plus doué qu’un magnétoscope, TiVo permet d’enregistrer plusieurs programmes simultanés, de visionner le début d’une émission en cours d’enregistrement et de définir des préférences qui permettront au système d’aller automatiquement chercher les émissions qui plairont à l’abonné.

Mais surtout, TiVo se laisse programmer facilement, à l’aide de menus apparaissant à l’écran. Chaque nuit, l’appareil se connecte à une centrale où il va pomper les horaires actualisés de toutes les chaînes de télé. Cette base de données garantit des enregistrements précis – sauf lorsque les diffuseurs modifient leur programme à la dernière minute, comme ESPN l’a fait samedi dernier.

Un hasard malencontreux? Pas forcément. Les enjeux commerciaux sont tels qu’on en vient à se demander si ce couac n’a pas été soigneusement orchestré et médiatisé par les networks.

Car TiVo fait peur. En proposant à ses abonnés d’accélérer les blocs de pub, la compagnie, déjà soutenue par des poids lourds tels que Sony et Toshiba, menace de déstabiliser toute l’industrie de la télévision gratuite.

Les professionnels ont déjà eu un haut-le-cœur lorsque Sonicblue, une concurrente de TiVo, a commercialisé un système d’enregistrement numérique qui supprime carrément la réclame. La réplique a été immédiate: début juin, les diffuseurs américains ont déposé une plainte pénale contre Sonicblue pour viol de copyright.

TiVo, elle, se contente d’accélérer la pub. Nuance. Des services de ce type pourraient d’ailleurs être introduits prochainement sur les marchés européens, mais cela n’inquiète pas trop Publisuisse, la régie de la SSR. «Quand je suis entrée en fonction il y a deux ans et demi, j’étais vraiment paniquée par ces évolutions technologiques, se souvient Ingrid Deltenre, directrice de Publisuisse. Ensuite, je me suis rendue compte que les téléspectateurs sont encore très attachés au rituel de la télévision en live. Nous ne considérons pas ces systèmes d’enregistrement digitaux comme une réelle menace.»

Dans tous les cas, TiVo s’efforce de calmer le jeu. Son directeur exécutif, Mike Ramsay, a déclaré avec conviction que «le téléspectateur qui visionne les pubs en accéléré les mémorise tout de même». TiVo insiste beaucoup sur ce point: l’enregistrement numérique n’est pas l’ennemi de la pub TV. La compagnie californienne démarche d’ailleurs des annonceurs en vendant des spots qui se téléchargent automatiquement sur les disques durs, et cela sans demander l’accord des abonnés…

TiVo aime aussi rappeler que lors du dernier SuperBowl, c’est la publicité de Pepsi avec Britney Spears qui a suscité le plus de retour-arrière chez ses abonnés. Et pas les prouesses des joueurs.

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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 22 juin 2002 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.

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