De «micro-protéines» en «bio-performance», les fabricants de cosmétiques réinventent quotidiennement le langage de la science. Leurs techniques s’affinent.
Il y a un an, Chanel lançait «Infrarouge», un rouge à lèvres que tout contribuait – à commencer par le nom – à faire passer pour un produit de haute technologie. «Innovation texture, innovation effet couleur», le cosmétique semblait sur la publicité étoilée aussi performant qu’un rayon laser.
Avec la collection de printemps 2002, la marque en remet une couche et sort dans la même gamme le coffret «Inframétal», composé d’un bâton à lèvres et d’un vernis à ongles gris métallisé. Plus de traces de rouge. Seul le contact froid et précis du métal sur la peau rappelle que c’est à la technique qu’il revient aujourd’hui de séduire.
L’intrusion de la technologie dans le domaine des cosmétiques n’est pas récente, mais de plus en plus explicite. Tous les produits se revendiquent conçus et testés en laboratoires. Tous contiennent un nouveau principe actif, breveté, plus efficace que le précédent. Mais c’est surtout dans la présentation des cosmétiques que l’accent est mis sur leur technicité.
Les soins anti-âge détiennent la palme de la terminologie scientifique. Si Dior a isolé la «micro-protéine pure en liposomes ciblés» pour stimuler l’activité jeunesse des cellules, Shiseido a mis au point la crème «bio-performance super revitaliseur absolu», résultat d’une technologie d’avant-garde.
Par le miracle de l’hyperbole, les crèmes en arrivent à rivaliser avec la chirurgie plastique et reconstructrice. La Prairie préconise un «système cellulaire lipo-sculpteur, mieux que toutes les crèmes, avant la chirurgie esthétique et au-delà de tous les résultats que vous ayez jamais vus», alors que Guerlain propose, avec «Successlaser, réducteur de rides», une véritable «intervention cosmétique».
Le lexique des produits de maquillage se décline comme une liste d’accessoires de voiture. Ce printemps, on applique sur ses paupières le fard «lumière polychrome» (jantes chromées) de Chanel ou le «Color Focus» (comme la Ford) de Lancôme à l’aide du «pinceau rétractable Diorific» (siège rabattable). Tout pour que nos yeux se confondent en appels de fards.
Le procédé est d’ailleurs réversible puisqu’une marque de voiture comme Alfa Romeo, qui veut désormais séduire les femmes, affiche des lèvres ourlées de rouge sur fond blanc pour lancer sa nouvelle 147. A l’essai de la voiture, Alfa offre un «set exclusif composé d’un rouge à lèvres et d’un vernis à ongles».
Partout, les couleurs s’irisent et s’intensifient. Le vernis laque pur «Ultra-violet» d’Yves Saint Laurent fait concurrence à «Infrarouge» de Chanel. Les textures sont toujours plus sophistiquées, les fluides se transforment en poudres au contact de la peau, les poudres sont étoilées ou translucides, les laques ultra résistantes et leur séchage ultra rapide. Le packaging reste sobre et futuriste, à l’image de l’étui spatial du rouge à lèvres Dior Addict.
Mais si les fabricants de cosmétiques invoquent volontiers la science, c’est surtout dans le secteur commercial qu’ils appliquent des méthodes scientifiques. Outre un argumentaire publicitaire efficace, les grandes marques exploitent depuis quelques années une nouvelle technique de vente, les «one shots», ou «éditions éphémères».
A l’image des voitures produites en séries limitées, certains assortiments, pensés en fonction des saisons et de la mode, ne paraissent ainsi qu’une seule fois et s’épuisent aussi vite (c’est justement le cas d’«Inframétal», le dernier «one-shot» de Chanel). Argument de choc, puisque la nouveauté crée la demande. Les clientes s’y précipitent.
D’après Françoise Baldini, responsable des ventes de La Prairie au magasin Bon Génie, ce principe de «one shot» a été imaginé pour limiter les stocks. «Les marques conservent les références de base, toujours demandées, et lancent en éditions limitées les produits saisonniers, qui seront vite dépassés. Cela évite d’avoir en stock des références qui dorment.» Et les effets sur les ventes sont fulgurants.
Ainsi, les femmes qui se croient aux commandes d’une nouvelle génération de cosmétiques sont en réalité les victimes d’une autre technologie. Le marketing est une science de pointe, pas forcément testée en clinique, mais ses effets sont assurément démontrés.
