LATITUDES

Auréoles ibères et indomptables lions

L’Espagne a eu très peur dimanche, avant d’arracher sa qualification pour les quarts. Le Sénégal exulte. La Coupe du Monde de toutes les surprises poursuit son cours avec des huitièmes de finale passionnants.

Plus l’équipe d’Espagne avance dans le tournoi, plus elles sont visibles. Oui, vraiment, on ne voit qu’elles, les auréoles de Camacho. Les auréoles, l’entraîneur ibère ne les a (pas encore, attendons la suite) au-dessus de la tête, mais sous les bras.

Dimanche, alors que les Espagnols arrachaient une qualification pour les quarts de finale aux tirs au but (3 tab. à 2) contre une héroïque formation irlandaise, la chemise bleu clair de Camacho ne le resta pas très longtemps, bleu claire. Pourtant on a presque cru hier que l’ancien défenseur international devenu sélectionneur pourrait, cette fois-ci, échapper au démon de la sudation.

Dès la 7ème minute, les Espagnols avaient pris l’avantage, sur une jolie tête de leur avant-centre Morientes. Et puis, classique pêché d’orgueil latin, ils se sont contentés, suffisants, d’afficher leur indéniable supériorité technique. Mais sans jamais donner l’impression de pouvoir marquer une seconde fois, histoire de classer l’affaire.

Et puis ce qui devait arriver arriva. A la dernière minute du temps réglementaire, le capitaine espagnol Hierro tira dans la surface de réparation le maillot du géant irlandais Quinn. Il le tira tellement que, l’espace d’une fraction de seconde, on se félicita de l’obligation pour les joueurs de porter un vêtement. Sans cela, Quinn se serait probablement fait arracher la peau de la taille aux oreilles.

Coup de sifflet de «Monsieur l’arbitre», comme on dit à la télévision, penalty, égalisation irlandaise. La chance venait de changer de camp, il suffisait de jeter un coup d’oeil au seul vrai baromètre de l’angoisse disponible sur le terrain: les aisselles de Camacho. A la fin du match, soulagé après une telle tension, Camacho explosa de joie. La prochaine fois, il devrait desserrer sa cravate avant le coup d’envoi.

Que dire de l’exploit des Lions de la Terenga, ces Sénégalais nettement plus «indomptables» que leurs cousins camerounais, pionniers du football africain de haut niveau il y a bientôt deux décennies? En battant la Suède (2-1) grâce au but en or – appelé aussi «mort subite», cela dépend du côté où l’on se place – ils accèdent aux quarts de finale de la Coupe du Monde, la seconde fois seulement qu’une équipe africaine parvient à ce stade de la compétition.

En 1990, le Cameroun, en quarts, avait buté sur l’Angleterre, après un match de légende. Lors de leur prochain match, les artistes de Dakar affronteront soit le Japon soit la Turquie, ce qui assure au passage, quoiqu’il arrive, la présence d’un tout petit poucet en demi-finales, première absolue et symbole d’une mondialisation réussie du football.

Après la rencontre, sur le plateau de TF1, un présentateur très crétin eut le génie oratoire de se féliciter des rugissements à répétition des Lions de la Terenga, qu’il qualifia dans la foulée d’ «équipe de France bis, car tous les joueurs sénégalais évoluent dans le championnat de France». Riposte immédiate de l’ancien gardien français Bernard Lama, qui venait de comparer le jeu sénégalais, aussi festif que l’enthousiasme de ses supporters, à l’ambiance de ses Antilles natales. «Il est insultant de dire que c’est une équipe de France bis, fit Lama. Les Sénégalais jouent sur leur mérite propre, cela n’a pas été le cas de tout le monde». Quand Lama fâché, lui toujours faire ainsi.

L’Italie affrontera (mardi 18 juin à 13h30 à Daejeon, en Corée) une équipe de Corée du Sud qui fait déjà figure de principale sensation de la Coupe du Monde qu’elle co-organise. Qualifiés in extremis à l’issue d’un match contre le Mexique qu’ils auraient dû perdre, les Transalpins sont prévenus, les Coréens jouent «comme des abeilles». C’est un défenseur américain qui l’a dit après le match nul Corée-Etats-Unis du premier tour, éreinté d’avoir dû, 90 minutes durant, veiller au grain quand l’essaim coréen bourdonne autour du but adverse. On dit de la Corée du Sud que c’est le Pays du Matin Calme, c’est sans doute vrai le matin…

Car vendredi soir, à l’issue de la victoire des Red Devils contre le Portugal à Incheon, dans la grande banlieue de la capitale, c’était de la folie pure. On redoute désormais des «débordements d’hystérie», pour reprendre la jolie expression d’un envoyé spécial de «L’Equipe», en cas de nouvel exploit coréen contre la Squadra Azzurra.

Piteusement défaits (0-1) par les diables rouges coréens, les Portugais n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Eliminés, ils sont rentrés à la maison avant la gloire qu’on leur promettait, comme avant eux, les Argentins et les Français. Il s’étranglait d’indignation, le commentateur lisboète de la première chaîne RTP, à comparer l’inutile constellation de stars lusitaniennes, piègée par un collectif coréen qui compte dans ses rangs le record du monde d’homonymies de la planète football: prenez 5 Lee, 4 Choi, et 4 Kim, ajoutez-y un Hong, un Song, un Hyun, un Yoo, un Yoon, et un Hwang et vous comprendrez qu’il fallait plus qu’un Luis Figo hors de forme pour faire basculer la rencontre.

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Journaliste à Paris, Guillaume Dalibert rêve désormais d’une finale Corée du Sud – Sénégal le 30 juin à Yokohama