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11 juin 2002, bleu comme l’enfer

«C’est la sorcière aux dents vertes», s’est exclamé Thierry Roland, dans le language imagé et presque toujours incompréhensible qui est le sien. Il était 10 heures 02, hier matin en Europe, et David Trézéguet venait d’expédier, là-bas en Corée, sa reprise de volée sur la transversale des buts danois.

Les Bleus «touchaient du bois» pour la sixième fois consécutive en trois matches, sans parvenir à faire entrer le moindre ballon dans les buts adverses. Défaits deux à zéro par une solide équipe danoise, les Français ont donc terminé de manière particulièrement pitoyable leur Coupe du Monde asiatique et peuvent rentrer dans leurs villas avec piscines olympiques chauffées et majordomes, où les vacances d’été seront, tous comptes faits, plus longues que prévu.

Pour tous ceux que l’arrogance bleue horripilait, c’est la délivrance. Oyez, adeptes romands de la Schadenfreude: la médiocrité bleue vous lave de votre pêché!

Le plus lamentable dans cet échec vertigineux, c’est qu’il ne laisse de regrets à personne. Les joueurs français n’avaient même pas l’air déçus au moment de quitter la pelouse. Trop «cuits» pour avoir encore l’énergie de pleurer. Ereintés par leurs vies de superstars, blasés par cinq ans de gloire.

Courir, encore? Mais pourquoi donc, quand on a goûté à tout? Pareille indifférence du côté des supporters. Comment se révolter quand la défaite terminale des idoles renvoie l’image insoutenable du mépris des joueurs pour l’enthousiasme populaire qui leur était acquis?

Terminus Incheon: on retiendra que c’est ici, non loin de Séoul, un 11 juin 2002, que sombra corps et âmes l’une des plus fantastiques phalanges de l’histoire du ballon rond, une équipe née voilà sept ans dans les brumes nocturnes de Bucarest (victoire de la France contre la Roumanie 3 à 1, à l’automne 1995, qualifications pour l’Euro 96) et qui allait dominer le football mondial comme rarement une autre avant elle.

On aimerait pouvoir dire: «Ainsi meurent les grandes équipes», comme on le fait habituellement pour passer le témoin à la suivante, à celle qui s’apprête à s’emparer du sceptre. Mais on ne peut pas le faire: car celle-ci ne s’est pas livrée, n’a pour ainsi dire pas joué. A périr sans combattre, on disparaît sans honneur.

Davantage que la désillusion (relative, on l’a vu plus haut), c’est la manière qui scandalise. Où sont passés les artistes bleus du Mondial 1998 et de l’Euro 2000? A qui ont-ils vendu leurs âmes? A P’tit Lu ou à Bouygues Telecom?

Vrai, les Tricolores avaient encore fait mine d’y coire juste avant la rencontre décisive. La mission était claire: battre les blonds Danois par deux buts d’écart.

Difficile, mais pas impossible. Après tout, la cuisse de Dieu était réparée, et Dieu sait faire des miracles, c’est écrit dans le livre.

Seulement voilà, on se rendit rapidement compte que Dieu n’était pas entièrement retapé. Il n’avait pas son rayonnement habituel, et ses disciples étaient en retard à la table commune, comme contre le Sénégal.

A trois minutes de la fin, la paire de commentateurs de TF1 osa cette remarque pertinente: «Cette fois-ci, ça paraît sérieusement compromis».

Interrogé à chaud, le sélectionneur Roger Lemerre, archi-conservateur (un air du temps français ?) dans ses choix tactiques, cachait mal son hébêtement. Il disait, pêle-mêle, que, mais non, ce n’était pas la fin du monde, et que les gars «rebondiraient».

Il faut désormais «reconstruire», comme après les grands tremblements de terre. A Paris, la saison de la chasse (aux sorcières à dents vertes) vient tout juste d’ouvrir. La roue tourne. Comme un ballon.

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Journaliste à Paris, Guillaume Dalibert soutient les Bleus depuis 1978. Il ne veut plus en entendre parler tant qu’ils joueront des parties à deux francs Zizou.