Quel talent! Les duettistes Bush et Poutine n’en finissent pas d’épater la galerie. Les voici aujourd’hui en train de signer le traité de ce début de XXIe siècle.
Le président Bush a même parlé de «liquidation de l’héritage de la guerre froide». Du toc! Du clinquant! De l’esbroufe! Comme toujours quand il s’agit de Poutine et de Bush.
En réalité, Russes et Américains font tout un cinéma autour d’un accord au rabais. Le texte signé aujourd’hui à Moscou suite à des négociations ouvertes en 1997 a surtout une portée symbolique.
Il se borne à autoriser le déploiement par chacune des deux armées de «seulement» 1700 à 2200 ogives d’ici à 2012 (dans dix ans!) contre environ 6’000 actuellement. Les quantités déployées restent telles que cela ne change rien à la menace nucléaire globale qui pèse sur le monde. D’autant plus que le traité ne prévoit pas la destruction des ogives retirées de la circulation.
C’est aux Américains que nous devons cette gâterie: malgré leurs belles paroles, ils misent toujours sur le nucléaire militaire et tiennent à conserver le niveau d’armement qu’ils ont justement hérités de la guerre froide.
De plus, l’administration Bush compte de plus en plus ouvertement sur les commandes du Pentagone et l’augmentation massive du budget militaire pour relancer l’économie. Dans les deux cas, les Etats-Unis obéissent à la logique de leur position d’unique super-puissance. Cela peut se comprendre: ce n’est pas lorsque l’on s’est hissé au sommet du pouvoir que l’on en sape les bases!
Il en va tout autrement pour Poutine. Certes, la signature du traité lui confère une aura internationale dont il peut aussi se prévaloir en politique intérieure. L’accord d’association avec l’OTAN qui sera signé mardi prochain à Rome va aussi dans ce sens. Mais cela ne résout pas son problème financier, ni la nécessité où il se trouve d’entretenir une armée démesurée et coûteuse par rapport à ses objectifs politiques. Cela implique que des armements sophistiqués sont condamnés à rouiller sur place faute de maintenance et que les accidents du type Koursk peuvent se multiplier.
De plus, le poids politique du complexe militaro-industriel russe n’est plus ce qu’il était. Issu des services secrets, Poutine gouverne avec eux, en s’appuyant sur eux. Ce sont les hommes formés par le défunt KGB qui détiennent le pouvoir et ils se sont montrés capables de neutraliser la mauvaise humeur des militaires.
Poutine et ses amis ont eu le génie de comprendre le 11 septembre dernier qu’ils avaient une chance historique à saisir en s’engouffrant dans le boulevard ouvert à la lutte contre le terrorisme. Ils l’ont saisie au quart de tour: Poutine a été l’un des premiers à se ranger derrière Bush. Et à rappeler sa propre contribution à la lutte contre l’islamisme en Tchétchénie.
Il a prouvé sa sincérité et donné des gages en laissant les Américains prendre pied en Asie centrale et dans le Caucase. En échange, on le laisse libre de façonner son pouvoir au sein même de la Russie.
Après avoir mis au pas la presse en liquidant la télévision d’opposition TV6 en début de l’année, il est en train de s’en prendre à son principal adversaire politique, le parti communiste, afin de dégager la voie pour les élections de 2004.
Ce n’est pas George W. Bush qui va le lui reprocher, pas plus qu’il va lui reprocher la destruction méthodique d’un pays appelé Tchétchénie et le génocide qu’y commettent les forces spéciales russes.
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La Tchétchénie est isolée du monde, les nouvelles que nous en avons sont fragmentaires. Les Russes empêchent les journalistes de s’y rendre. Il est impératif de signaler chaque témoignage. Les éditions Robert Laffont viennent de publier un ouvrage impressionnant: «Un témoin indésirable» d’Andreï Babitski (CHF. 20.-).
Ce journaliste russe a couvert les deux guerres de Tchétchénie avant d’être arrêté, puis porté disparu, et enfin sauvé par une vaste mobilisation de la presse russe et internationale. Le livre raconte ce qu’il a vu et vécu. C’est terrifiant.