TECHNOPHILE

20 millions pour la ville fantôme d’Expo.02

Cher, compliqué et mal traduit, le projet virtuel d’Expo.02 patauge sur le Net. La communauté peine à établir un dialogue entre les internautes. Et ne séduit personne.

Il faut un PC puissant pour accéder à la communauté en ligne Cyberhelvetia. Et une bonne dose de patience pour apprendre à naviguer dans le site. «Mais on a déjà simplifié l’interface qui était horriblement compliquée à utiliser», explique sans rire Jasmina Inglin, attachée de presse de la plate-forme interactive d’Expo.02.

En se connectant sur le site www.cyberhelvetia.ch, les internautes peuvent communiquer entre eux depuis plus d’un an dans des chatrooms, au sein d’une ville virtuelle. Principalement financé par le Credit Suisse, ce projet à 20 millions de francs est l’un des plus anciens de la manifestation nationale et figurait déjà dans les cahiers de Pipilotti Rist. «Aujourd’hui, Cyberhelvetia compte plus de 17’000 habitants, ajoute Jasmina Inglin. Mais nous ne dénombrons qu’environ 200 visiteurs réguliers.» En se connectant ces jours-ci, on n’y croise pas plus d’une dizaine de personnes. Souvent moins.

La complexité de l’interface (les zones ont des noms incompréhensibles, sans parler du charabia philosophique associé) et la lourdeur extrême du logiciel – sponsorisé et hébergé par Sun Microsystems – explique sans doute pourquoi les usagers s’inscrivent et ne reviennent plus jamais.

L’ambitieux système de dialogue en temps réel propose une visualisation graphique des «avatars» – les doubles numériques des membres de la communauté – qui ralentit considérablement le dialogue. L’usager peut choisir le logo qui le représentera au sein de la cité virtuelle, baptisée Cy. Nous n’avons jamais croisé un seul In.Cyders – le nom donné aux citoyens – dans la zone graphique.

Entièrement programmé en Java, ce qui gèle la grande majorité des Macintosh, le système de dialogue permet de sélectionner un interlocuteur dans une liste de pseudos et de lui envoyer un message instantané. Une fenêtre s’ouvre alors sur sa machine pour qu’il puisse répondre, à la manière des messageries classiques de MSN ou AOL. Pour étendre la communication en dehors du Net, une passerelle vers le SMS sera ajoutée prochainement, grâce au sponsor Sunrise.

Bien que national et patriote, le site Cyberhelvetia maîtrise mal la diversité linguistique du pays qu’il est sensé modéliser. Outre son ton jeuniste inadapté, ses anglicismes et ses tutoiements systématiques, l’interface maladroitement traduite – «Choisi ton sexe» (sic) dit par exemple un message d’erreur – ne permet pas de sélectionner un interlocuteur en fonction de la langue qu’il parle. Du coup, le Suisse romand se retrouve constamment confronté à une humiliante barrière linguistique en se voyant répondre, dans le meilleur des cas, un «Sorry, I don’t speak French» par ses interlocuteurs germanophones.

Cela n’inquiète pas Jasmina Inglin: «Aujourd’hui, 80% des habitants de Cy sont alémaniques. On considère que francophones et italophones représentent des quantités négligeables.»

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Mosaïque de visages et piscine fictive

Pour sa publicité, la ville virtuelle Cyberhelvetia utilise une vingtaine de Fotobots, des webcams disposées dans des magasins et des filiales du Credit Suisse sur l’ensemble du territoire national. Les passants peuvent se prendre en photo, et apparaissent ensuite dans une mosaïque virtuelle qui représente la partie la plus ludique du site Cyberhelvetia.ch. Plus de 600’000 photos sont déjà mémorisées sur le site. L’interface permet de choisir la caméra et de visionner les images classées heure par heure.

C’est dans le monde réel, c’est-à-dire sur l’Arteplage de Bienne, que Cyberhelvetia impressionnera les Suisses. Au milieu de l’espace d’exposition, on trouve une magnifique piscine en verre, remplie «d’eau virtuelle». Le bâtiment baptisé «Pool», dont la construction a coûté 5 millions, se compose essentiellement de bois et de verre. Il est traversé d’un câblage qui relie des écrans intégrés dans les structures.

Les visiteurs de l’Arteplage peuvent interagir avec les internautes, lesquels pourront lancer des créatures virtuelles baptisées Cy.Bees dans la piscine.

Initialement, la ville virtuelle Cyberhelvetia devait vivre au delà de l’exposition nationale et réunir la population sur Internet. Aujourd’hui, les promoteurs du projet n’en sont plus si sûrs. «Nous verrons s’il y a toujours des visiteurs quand l’expo sera finie, dit Jasmina Inglin. Si l’audience baisse, nous fermerons le site.» On peut s’y préparer.

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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 12 mai 2002 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.

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