Le caractère éléphantesque de l’exposition nationale est révélateur. Tout comme son éclatement en quatre sites distants de plusieurs dizaines de kilomètres…
«Il est impressionnant d’avoir su maîtriser ce gigantisme et cet éclatement: ça roulait!» Tel est l’un des sentiments formulés avec insistance par plusieurs invités sur le plateau du Téléjournal romand mardi soir 14 mai dernier, date d’ouverture officielle de l’Expo.02.
On évoquait là la cérémonie d’ouverture organisée par François Rochaix, en simultané, sur quatre arteplages distants de plusieurs dizaines de kilomètres.
Risquons d’emblée, sur ce thème, trois observations interrogatrices ou spéculatives.
La première consiste à présumer que seules les dimensions objectives de la Suisse ont déterminé le caractère éléphantesque de l’exposition: il s’est agi pour elle non pas d’instituer une forme propice à du sens, mais d’entreprendre un rituel qui parvienne à l’aveugler, d’un degré supplémentaire, sur sa propre petitesse matérielle et sa propre nullité politique à l’échelle de la planète.
La deuxième observation consiste à remarquer que la maîtrise du gigantisme atteste généralement une compétence non pas artistique ou culturelle, mais industrielle ou militaire. Qu’elle soit saluée ces jours-ci veut dire à quel point nous avons basculé dans une époque où l’intelligence et la sensibilité révélatrices valent clairement moins que la capacité d’organiser et de conquérir, l’une et l’autre considérées en termes de masses.
La troisième observation a trait à la notion d’éclatement. Interrogés sur le principe de dissémination géographique qui préside à l’exposition nationale entière, Nelly Wenger ou François Rochaix définissent celle-ci comme un miroir de l’être humain brisé d’aujourd’hui. Or l’être humain d’aujourd’hui souffre précisément d’être brisé, et ne cesse de rechercher désespérément sa cohérence menacée. Une manifestation digne aurait dû témoigner de cette tension.
Le manquement de l’Expo.02 à cette exigence indique qu’elle n’est pas un portrait de la communauté suisse actuelle, mais la complice et la validation d’un système émietteur dominant: entre elle-même qui représente l’éclatement comme une norme et ne la critique pas ni même ne la commente, et n’importe quelle entreprise industrielle qui pulvérise sa main-d’œuvre de mille façons, pas de différence.
