CULTURE

Al Qaida en série TV

J’ai vu le prochain épisode de la série «JAG», qui passera bientôt sur CBS. Documenté par le Pentagone, il met en scène le procès d’un bras droit de Ben Laden.

La scène se déroule dans une salle de tribunal aménagée à bord du porte-avion USS Seahawk. L’accusé répond au nom de Mustafa Atif, il est un ancien capitaine de l’armée saudienne, formé dans les meilleures écoles militaires anglaises.

Arrêté lors de la bataille de Mazar-i-Sharif dans le Nord de l’Afghanistan, l’homme est accusé par Washington d’être le numéro trois d’Al Qaida et d’avoir formé les 19 terroristes, auteurs des attentats contre le World Trade Center et le Pentagone.

Mustafa Atif, cheveux noirs mi-longs, barbe noire et regard perçant, vêtu d’une tunique orange est défendu par un amiral et son adjoint, avocats d’office malgré eux. Ses accusateurs sont aussi des juristes de l’armée tout comme le panel de juges qui préside ce premier tribunal militaire américain depuis la 2e guerre mondiale.

Cette scène est tirée du dernier épisode de la série JAG, acronyme de «Judge advocate general corp», la division juridique de la marine. Il sera diffusé le 30 avril prochain sur la chaîne américaine CBS et est consacré aux tribunaux militaires qui verront le jour aux Etats-Unis quand seront jugés les premiers prisonniers d’Al Qaida. Largeur.com a obtenu une copie de cet épisode par CBS.

L’épisode aurait sans doute passé inaperçu – la série existe depuis sept ans et n’a suscité qu’un intérêt relatif jusqu’au 11 septembre – si ce n’était pour l’étroite coopération qui a existé entre le Pentagone et les producteurs de JAG pour le réaliser. Le scénariste a ainsi obtenu les détails de la procédure que suivront ces tribunaux deux semaines avant qu’ils ne soient rendus publics par le Secrétaire à la Défense Ronald Rumsfeld.

Ce détail a particulièrement irrité la presse, elle qui ne reçoit qu’au compte-gouttes les informations sur la création de ces tribunaux. Le Pentagone ne cache pas que c’est dans son intérêt d’avoir de bonnes relations avec Hollywood, voire même de meilleures relations qu’avec la presse, encline à poser les mauvaises questions.

Contre l’utilisation d’un porte-avion ou l’accès à des bases d’entraînement, le Pentagone expose sa vision d’une problèmatique. Un officier, Paul Strub, est même chargé des «liaisons» avec Hollywood.

«Les producteurs sont libres d’adapter leurs scénarios, mais si le script ne nous convient pas, nous sommes moins prompt à souscrire à leur demande», déclarait récemment un officier au New York Times sous couvert d’anonymat.

Le passé militaire du producteur de JAG, Donald Bellisario, a sans doute favorisé les contacts dans ce cas particulier. L’épisode «Tribunal» de JAG passe en revue toutes les questions délicates soulevées par la création de ces tribunaux pour le moins constestés.

Leur légalité d’abord? La réponse est oui. Des tribunaux semblables ont été créés pendant la deuxième guerre mondiale pour juger des saboteurs allemands. L’utilisation de rumeurs par l’accusation? La réponse est oui aussi, même si ces éléments de preuve sont exclus par la justice civile. On croirait entendre un briefing de Rumsfeld.

Contraint par une commission de surveillance, le juge, faussement magnanime, refusera la confession de Mustafa Atif parce qu’obtenue dans un «environnement hostile». Quand l’officier de service s’expliquera sur les circonstances de l’interrogatoire, il dira que l’accusé a été placé nuit et jour sous des lampes phosphorescentes, soumis à de brusques changements de température et forcé à écouter de la musique à un volume «très fort».

On aurait presque envie de sourire. Mais quand on sait que Washington songe sérieusement à avoir recours à la torture si nécessaire pour faire parler les plus taciturnes de ses prisonniers, on sourit moins.

Et c’est là que la collaboration entre le Pentagone et Jag prend une coloration différente. Plus qu’une fiction, «Tribunal» est peut-être le prélude de ce que seront ces tribunaux. Fiction oblige, le terroriste de fonction est un homme arrogant et sournois. Il se rendra à la barre contre l’avis de ses avocats, avouera qu’il est l’homme recherché et qu’il n’a aucun regret à avoir «entraîné les soldats du 11 septembre».

Mais Hollywood ne serait plus Hollywood avec les seuls conseils du Pentagone. On retrouvera Mustafa Atif mort dans sa cellule, les veines coupées à l’aide d’un canif qu’il «a pu voler dans la salle du tribunal». Cela au moment où le doute s’installe.

Etait-il vraiment le terroriste présumé? Des généraux afghans alliés prétendent avoir repéré le vrai Atif à la frontière du Pakistan et des agents de la CIA ont intercepté des communications laissant à penser qu’Al Qaida préparerait un nouveau coup. Un très gros coup. Malheureusement, Largeur.com n’a pas encore pu visionner l’épisode suivant.