CULTURE

«Le Tube» qui vous bombarde d’électrons

Dans son nouveau film, le réalisateur new-yorkais Peter Entell s’intéresse aux effets physiologiques de la télévision. Un documentaire en forme d’enquête policière qui nous mène de Genève à Boston en passant par Tokyo.

A la télévision, ce n’est pas ce qui est diffusé qui importe, mais plutôt le moyen technique utilisé, disait Marshall McLuhan. Un point de vue adopté par Peter Entell, cinéaste new-yorkais établi à Nyon dont le dernier film, «Le Tube», vient de sortir sur les écrans romands.

Dans ce documentaire aux allures d’enquête policière, un journaliste, Luc Mariot, s’inquiète de la fascination exercée par le téléviseur sur sa fille âgée de 4 ans. Pourquoi regarde-t-elle l’écran aussi fixement? Que se passe-t-il dans son cerveau quand elle se trouve face au poste? Ce bombardement d’électrons a-t-il un quelconque impact sur son organisme?

Il décide d’enquêter. Une première recherche le mène sur la piste d’un incident survenu au Japon en 1997, où plus de 600 enfants avaient été pris d’un malaise à la suite de la diffusion d’un épisode du dessin animé «Pokemon». Une succession d’images stroboscopiques seraient à l’origine de cette crise collective «d’épilepsie photosensible».

Pour en savoir plus, le journaliste se rend à la chaîne Tokyo Channel 12, qui avait diffusé l’épisode incriminé. Là, et de l’aveu même du directeur, il apprend que les stimulations lumineuses du petit écran peuvent provoquer ce type de crise.

Cet indice constitue le premier élément d’un jeu de piste qui va le mener autour du monde. Une quête initiatique qui fera voyager le spectateur de Genève à Tokyo en passant par New York, Boston, Paris et Toronto. Initiatique, parce que le journaliste affiche d’emblée une attitude volontairement naïve sur la question.

De ville en ville, de publicitaire en chercheur d’université, le propos se creuse et de nombreuses questions émergent. Un neurologue, le docteur Mulholland, révèle à travers ses expériences que toute personne regardant un téléviseur produit des ondes alpha – ce qui signale une légère léthargie du cerveau. Un pas de plus est franchi: la télévision peut provoquer un état de somnolence proche de celui de l’hypnose.

Néanmoins, et c’est un des mérites du film, le réalisateur évite de tomber dans le piège des généralités. Il assume du début à la fin son rôle de questionneur, sans apporter de réponses pré-digérées. En adoptant le point de vue de Marshall McLuhan («medium is message»), et donc en se coupant de la problématique du contenu, Peter Entell éclipse les poncifs habituellement associés à la violence à l’écran, par exemple.

Mais cet œil neutre de la caméra semble parfois déraper. Ainsi, lorsque le journaliste s’entretient avec Eric McLuhan, le fils de Marshall, on ne peut éviter le débat idéologique. Et c’est alors la question du totalitarisme qui pourrait être exercé par la télévision qui est introduite. Une critique qui n’est pas nouvelle, et qui trouve son origine dans la crainte de la montée des fascismes à partir de 1939. Mais ce point de vue n’est que suggéré – le seul coupable clairement épinglé étant la publicité.

Le réalisateur échappe là encore aux clichés, surtout lorsque l’on sait à quel point il est tentant de mettre sur un même niveau l’influence supposée d’un spot publicitaire et l’inculcation d’une idéologie.

Si au terme du film subsiste l’impression d’être resté sur sa faim, c’est uniquement parce qu’il ne donne pas vraiment de réponses aux problèmes posés. Et pour cause.

«Mon but n’est pas d’apporter des preuves irréfutables sur les questions soulevées, précise Peter Entell, mais plutôt de provoquer le débat sur un sujet complexe.» En ce sens, «Le Tube» offre une image fidèle du champ de la recherche dans ce domaine. Les milliers d’enquêtes menées en sciences sociales sur les effets des médias, et leurs résultats souvent contradictoires, vont bien sûr à l’encontre d’une conclusion univoque.

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Le Tube: sorti en salle le 17 avril 2002 au cinéma Scala de Genève et au cinéma Bellevaux de Lausanne