LATITUDES

Eglise, pédophilie et culture du secret

Dans les affaires de pédophilie qui frappent l’Eglise catholique, le célibat des prêtres est souvent montré du doigt. Pas si simple, disent les psychiatres.

Après l’Europe, le scandale des prêtres pédophiles soulève un barrage de critiques contre l’Eglise catholique aux Etats-Unis. Des centaines de cas ont refait surface depuis la condamnation à la mi-janvier de l’ex-prêtre John Geoghan de Boston à 10 ans de prison pour avoir abusé sexuellement d’un enfant de 11 ans.

Au cours du procès, et grâce à une enquête minutieuse du Boston Globe, il s’est avéré que le père Geoghan avait abusé d’au moins 130 garçonnets sur une période de plus de trente ans. Pire: les faits étaient connus de l’évêché, qui a obtenu le silence des victimes moyennant finances. Quant à Geoghan, il avait simplement été muté dans une nouvelle paroisse où il pouvait à nouveau agir en toute impunité. Et son cas est malheureusement loin d’être isolé.

De nouveaux scandales sont dévoilés chaque jour. L’existence d’abus anciens ou récents, dans le Massachusetts, à New York, dans le New Jersey et le reste des Etats-Unis remplit les colonnes des journaux et fait le bonheur des talk-shows, au grand désarroi d’une hiérarchie catholique désemparée.

Sans surprise, les voeux de chasteté imposés aux membres du clergé figurent en bonne place parmi les causes évoquées du scandale qui frappe aujourd’hui l’Eglise. Certains journaux officiels de diocèses américains, à l’instar du Pilot à Boston, demandent des études sur le lien entre célibat et pédophilie.

Mais les psychiatres, en particulier ceux qui soignent des pédophiles, estiment que ce raccourci est trop simple. «Aucune étude ne permet de conclure à une plus grande prévalence de pédophiles au sein de l’Eglise catholique que dans d’autres religions, voire d’autres professions de la société civile», m’a expliqué Thomas Plante, un psychologue travaillant depuis douze ans avec des prêtres pédophiles.

Pour ce catholique, le problème réside plus dans la manière dont l’Eglise catholique a géré et gère encore ces abus que dans le célibat. «C’est en refusant d’admettre l’existence de pédophiles dans le clergé et en les mutant d’une paroisse à l’autre que l’Eglise a aggravé son cas. Réassigner un prêtre pédophile dans une paroisse revient à vouloir soigner un alcoolique en lui offrant un job de barman.»

Le thérapeute insite par ailleurs sur le fait que le terme pédophilie est souvent galvaudé par les médias. «Il n’y a pédophilie que lorsque la victime est prépubère et que son agresseur a cinq ans au moins de plus de qu’elle, poursuit Thomas Plante. Or dans les nombreux cas dévoilés aujourd’hui, les victimes sont souvent des adolescents. Il faudrait plutôt parler d’abus sexuels sur des mineurs ou d’«éphèbophilie».

Richard Sipe, pour sa part, a été prêtre pendant onze ans avant d’obtenir une dispense par Rome. Il est devenu psychiatre et depuis plus de trente ans, il s’occupe de prêtres pédophiles. «C’est la culture du secret dans l’Eglise qui est en cause, pas le célibat, dit-il. Si les évêques n’ont rien dit pendant des années, c’est parce que la notion de secret est au coeur même du pouvoir dans l’Eglise. Lorsqu’un évêque accède au rang de cardinal, il promet au pape de garder le secret sur tout ce qui pourrait nuire à l’Eglise.»

Après des années de recherches et trois livres sur le sujet, Richard Sipe est arrivé à la conclusion que les prêtres souffraient pour la majorité d’entre eux – certaines études disent 70% – d’immaturité sexuelle. Et cela «à cause de l’environnement social exclusivement masculin et de la structure hiérarchique de l’Eglise qui cultive des comportements sociaux adolescents de type boyscout. En taisant ces actes abusifs, l’Eglise les a pardonnés, et même indirectement encouragés puisque les abuseurs concluaient qu’ils ne risquaient rien, ou presque.»

Richard Sipe se bat néanmoins contre le célibat et la chasteté imposée aux prêtres. Il plaide aussi pour l’ordination des femmes. «Ces restrictions éloignent de la prêtrise des hommes et des femmes de qualité, et c’est regrettable, à un moment où les vocations se font rares».

Pour Thomas Plante, le seul moyen pour l’Eglise de sortir de cette crise est de revoir la formation de ses prêtres en leur imposant des tests psychologiques à l’entrée au séminaire, et en dispensant une véritable formation sexuelle. Les conseils des thérapeutes semblent avoir été entendus par une partie du clergé au moins.

Ainsi, le séminaire de Mundelein dans l’Illinois a revu entièrement ses règles d’admission et son curriculum. Les aspirants-prêtres sont soumis à une batterie de tests psychologiques rigoureux, avant et pendant leur formation. Ils reçoivent aussi des cours d’éducation sexuelle. Un sujet encore tabou il y a peu.

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Richard Sipe:

«Ex, Priests and Power: Anatomy of a Crisis», Brunner/Mazel New York, 1995.

«Celibacy: a Way of Loving, Living and Serving», Triumph Book, New York
1996.

«A Secret World: Sexuality and the Search for Celibacy», Brunner/Mazel
New York 1990.

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Thomas Plante:

«Bless Me Father for I Have Sinned: Perspectives on Sexual Abuse Committed by Roman Catholic Priests», 1999. Thomas Plante, éditeur.