Les services pontificaux placent d’immenses espoirs dans les développements du Net. Ce n’est pas un poisson d’avril: le Saint-Siège vient de publier «Ethique en Internet». Réactions.
«Le dialogue interculturel rendu possible par Internet peut être un instrument privilégié pour édifier la civilisation de l’amour.» Le visiteur du site du Vatican qui tombe sur ce genre de verset croit d’abord à un canular: le Saint-Siège aurait-il été hacké par une troupe de hippies utopistes? Pas exactement.
Le texte en question, intitulé Ethique en Internet, a été émis le 22 février par le très officiel Conseil pontifical pour les communications sociales, et publié peu après sur l’unique site bénéficiant de l’extension «.va»: celui du Saint-Père.
En une dizaine de pages sévèrement annotées, le Conseil pontifical a voulu empoigner les enjeux sociaux, éthiques et spirituels de «ce remarquable réseau multimédial» qu’est le Net. L’opération a été menée par Mgr John P. Foley. Cet archevêque américain, diplômé en journalisme et docteur en philosophie, s’est demandé si l’internet pouvait conduire les personnes et les peuples «à être fidèles à leur destin transcendant». En d’autres termes, si le réseau pouvait nous aider «à atteindre cette finalité de l’Humanité qu’est le royaume de Dieu», explique Michel Grandjean, 45 ans, historien du christianisme et professeur à la Faculté de théologie de Genève. «A mon avis, ajoute-t-il, poser la question sous cette forme revient à attribuer une valeur démesurée à la technologie.»
Il faut dire que le Vatican n’est pas un débutant en matière de Web. Son site a été ouvert il y a exactement cinq ans, pendant les fêtes de Pâques 1997, avec le soutien logistique d’IBM et de trois puissants serveurs baptisés du nom des archanges Gabriel, Michel et Raphaël.
Aujourd’hui, l’adresse attire des millions de fidèles et constitue un élément majeur de la communication du Saint-Siège, qui y publie l’ensemble de ses documents en six langues (allemand, anglais, espagnol, français, italien et portugais). Et ce n’est qu’un début. Mgr Foley précise dans son document que «le monde des médias, y compris Internet, a été introduit par le Christ, de façon incomplète mais vraie, au sein du Royaume de Dieu et mis au service de la Parole de salut». Il s’agit d’en faire bon usage. «Les groupes ecclésiaux qui n’ont pas encore pris de mesures pour entrer dans l’espace cybernétique sont encouragés à étudier l’éventualité de le faire au plus tôt», assène Mgr Foley, qui ne perd pas de vue «les capacités positives d’Internet pour diffuser l’information et l’enseignement religieux» (L’Eglise et l’Internet, 22 février 2002).
Encore faudrait-il que les populations soient connectées pour recevoir le message, ce qui vaut au document quelques passages bien sentis sur le fossé numérique. Entre deux éloges du caractère communautaire du réseau, les «questions éthiques» liées à la vie privée, aux droits d’auteur et à la pornographie en ligne sont également survolées.
«N’importe qui pourrait souscrire à ce catalogue des avantages et inconvénients d’Internet, estime Cédric Fischer, 29 ans, assistant à la Faculté de théologie de Neuchâtel. Le problème, c’est que ce texte est toujours présenté dans une perspective éthique, et on aimerait bien connaître ses présupposés. Il ne faut pas remplacer le fossé numérique par un fossé éthique.»
Tout à son enthousiasme, le Conseil pontifical pour les communications sociales en est venu à considérer le Net comme une utopie électronique qui pourrait amener l’Humanité à un stade supérieur: «Les médias ont la possibilité de faire participer toute personne en tout lieu aux projets et aux problèmes de chacun comme à ceux du genre humain. Il s’agit d’une vision stupéfiante. Internet peut la faire devenir réalité.»
Selon Michel Grandjean, ce passage constitue «une envolée lyrique, qui est manifestement sans rapport avec le monde concret». Du coup, on en vient à se demander si Mgr Foley n’aurait pas abusé de ses connexions, dans la mesure où l’archevêque précise lui-même un peu plus loin que le Net se prête à «l’absorption passive dans un monde de simulations narcissiques et centrées sur soi, dont les effets s’assimilent à ceux des narcotiques»…
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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 31 mars 2002 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.
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