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L’Allemagne emballée par ses jeunes Turcs

Drôle d’Allemagne. A six mois des élections parlementaires, les partis ne cessent de débattre sur la question de savoir si la République fédérale est une nation d’immigration traditionnelle ou non, à quel âge maximum les enfants d’immigrés peuvent rejoindre leurs parents, et combien d’étrangers peuvent être intégrés chaque année.

Pendant ce temps, la société évolue naturellement vers l’intégration. Sous l’impulsion d’une nouvelle génération d’Allemands d’origine étrangère, le pays subit une mutation culturelle qui transforme sa perception d’elle même, sans ménager les différentes communautés qui y sont installées.

A la télévision par exemple, ce sont des jeunes d’origine turque qui secouent le pays, en se référant à deux traditions depuis longtemps ancrées en Allemagne: le cabaret satirique d’un côté, et la littérature turque de l’autre. Ces deux genres ont la particularité de fonctionner comme un miroir multiface, dont l’un serait le regard des Allemands sur la communauté turque, et l’autre celui des Turcs sur l’Allemagne et leur patrie d’origine.

L’émission «Was guckst du» de Kaya Yanar, sur la chaîne privée Sat1, réussit avec brio ce métissage des styles et des cultures. Kaya Yanar y est tour à tour citoyen allemand, turc, indien, russe, italien, arabe, et n’épargne absolument personne.

Si ses compatriotes en prennent régulièrement pour leur grade, les Allemands, coincés dans leur rapport à la plus importante communauté étrangère du pays et à ses coutumes, ne sont pas épargnés. Avec un sens aigu de l’autodérision, Kaya Anar passe les préjugés des deux camps à la moulinette.

Derniers hurluberlus débarqués dans le paysage audiovisuel allemand: Erkan et Stefan. Dans leur émission Headnut.tv, ce couple incarne l’adolescent turc-allemand dans tous ses contrastes. Leurs slogans donnent le ton: «Bildung, Döner und korrekte Titten» («Education, döner-kebab et ce qu’il faut de nichons»), et «Bildung bremmst» («L’éducation freine»).

Leur concept repose sur une série d’interviews avec des «Herr Doktor» (se moquant en même temps de l’habitude allemande de donner ce titre à toute personne ayant un doctorat universitaire dans quelque domaine que ce soit). Malgré une forme déroutante, Erkan et Stefan posent au passage des questions pertinentes, que ce soit sur les droits de l’homme et de la femme, les bonnes manières à table ou l’application du code pénal.

Tout comme Kaya Yanar, ils font subir à la langue allemande un traitement impitoyable, l’assouplissant et l’enrichissant de nouvelles expressions. Le phénomène, en tout cas, est assez important pour avoir attiré l’attention de la maison d’éditions Eichborn, qui a publié deux ouvrages sur l’allemand-turc.

Mais il n’y a pas que les jeunes d’origine turque qui agitent l’Allemagne. D’autres enfants de l’immigration s’imposent progressivement dans le monde du foot ou grimpent au hit parade.

La nomination, en 2001, de Gerald Asamoah par l’entraîneur Rudi Völler constitue une première. Cet attaquant d’origine ghanéenne du FC Shalke 04 est le premier homme noir à jouer en équipe nationale. Il avait obtenu le passeport allemand quelques mois auparavant et a su remercier la confiance de l’entraîneur national par un but dès le premier match, se faisant ainsi immédiatement apprécier des supporters.

Quant à la pop allemande, il faut bien constater qu’elle ne rayonne par sa créativité, en dépit de moyens financiers importants. C’est dans ce désert musical qu’un jeune chanteur a réussi à se faire une petite place au soleil. Il s’appelle Xavier Naidoo, né à Mannheim d’une mère sud-africaine et d’un père d’origine indienne.

La ferveur religieuse qu’il infuse dans sa musique d’inspiration soul lui a valu d’être surnommé «Jésus des hit-parades» par l’hebdomadaire Der Spiegel. Il a sorti son premier titre sur l’album de la rappeuse noire Sabrina Setlur, suivi par un album solo en 1998 et la création du groupe Die Söhne Mannheims.

Sa carrière a obtenu une reconnaissance internationale avec la chanson du générique du film «Astérix». Entre temps, il aura aussi composé avec le Wu Tang Clan, RZA, et avec une douzaine d’artistes des milieux hip hop et reggae.

C’est ainsi que, presque vingt ans après le célèbre livre-dénonciation de Günter Wallraff, l’Allemagne semble en passe d’enlever avec bonheur tout sens à son expression «tête de Turc».