Samedi, une marée humaine a envahi le centre de Rome. Mais si la gauche italienne a retrouvé l’usage de ses jambes, son cerveau est toujours sous narcose. Inquiétant.
Tous les dimanches ne se ressemblent pas. Il y a notamment ceux où, pour avoir exagéré le samedi soir, on se retrouve avec une gueule de bois qui vous fend le crâne. Mais de travers, pas de manière sympathique, encore moins euphorique.
C’est mon cas aujourd’hui.
Samedi, je me suis laissé emporter au rythme joyeux de la marée humaine qui a envahi le centre de Rome. J’ai toujours eu un faible pour le rouge italien. Là, j’ai été particulièrement bien servi, même si ce ne fut qu’à distance.
De toutes les images diffusées par les médias, il en est une qui m’a poursuivi: celle d’un bambin dont la tête était couverte d’un foulard rouge marqué de la faucille et du marteau. Une image contradictoire. L’enfant est bien sûr porteur d’avenir, il peut symboliser la reprise d’un mouvement sonné par l’arrivée de Berlusconi au pouvoir. Mais que dire de la faucille et du marteau dont il est affublé?
Ce symbole, qui représentait le progrès il y a un siècle, est aujourd’hui dépassé par le progrès même qu’il a en partie engendré: dans nos sociétés, la faucille et le marteau ont disparu, de même que les classes sociales qu’ils symbolisaient. On ne saurait donc en faire les emblèmes des luttes à venir.
Ou, pour le dire différemment: qu’elle soit française ou italienne, la gauche d’aujourd’hui est conservatrice, tout entière tournée vers la défense des acquis, mais incapable de promouvoir un projet d’avenir.
La CGIL (c’est la CGT italienne, l’ancienne centrale syndicale communiste) est parvenue à mobiliser ces millions de personnes pour protester contre une mesure d’une portée concrète ridicule – une clause régissant les licenciements dans des entreprises de 15 ouvriers et plus – tout en leur donnant l’occasion de faire de l’antiberlusconisme.
Il est question de prolonger cette manifestation dans quelques semaines par une grève générale. Très bien. Mais avec quel programme? La lutte contre la clause précise de l’article 18 du code du travail? C’est grotesque autant que suicidaire. Cela prouve que si la gauche italienne retrouve l’usage de ses jambes, son cerveau est toujours sous narcose.
L’histoire récente ne manque pas d’exemples de ces grèves apparemment sympathiques et justes qui conduisirent leurs acteurs au désastre tout en accouchant d’une société nouvelle – je dis bien «nouvelle», pas «meilleure» ou «pire». Ce fut notamment le cas avec la grève générale belge en décembre 1960, avec les grèves des mineurs lorrains (février 1971) ou anglais (mars 1984).
L’Italie antiberlusconienne est entrée en ébullition mais il lui faudra encore longtemps pour esquisser son avenir politique. Comme la gauche française, elle devra réfléchir à la globalisation, aux nouveaux rapports économiques, au rôle de l’idéologie du travail, à une gestion européenne de ses envies et de ses possibilités.
De ce point de vue, Berlusconi qui est tout sauf un sot va plus vite. A mon sens, dans un affrontement direct, posé en termes de rapports de force syndicaux, il gagnera. Car il réfléchit.
Un exemple: après avoir évincé de son gouvernement Renato Ruggiero, homme de la Fiat représentant l’industrie traditionnelle, il transforme le ministère des Affaires étrangères. Au titre évident que l’Europe existant, l’Italie en faisant partie, le rôle des diplomates italiens n’est plus de représenter un Etat-nation classique, mais les intérêts (économiques, culturels, etc.) de la nation italienne.
