«Je vous invite». C’est le titre du livre que Nelly Wenger, directrice générale d’Expo.02, publiera le mois prochain aux éditions Favre. Ce titre est extraordinaire. Voyez un peu: la dame, invitée par les instances confédérales à diriger la manifestation, et grassement payée par les contribuables indigènes pour accomplir cette tâche, autrement dit simple employée des Suisses et de la Suisse, inverse ces données, et traite ceux qui l’ont engagée comme un propriétaire traiterait ses hôtes…
Cette circonstance a ceci d’intéressant, et de banal à la fois, qu’elle caractérise à peu près tous les dominants en vigueur aujourd’hui – y compris dans le champ économique. Presque partout, un processus d’élection ou de nomination soigneusement balisé détermine l’accès des individus aux fonctions supérieures; ainsi se produit en nous le sentiment que l’équilibre représentatif, et les principes d’une sélection saine, sont à l’œuvre.
Et presque toujours cette normalité démocratique se dégrade dans la mesure où les intéressés, à peine installés dans les organigrammes du pouvoir, accablent de leur commandement ceux-là même qui les y déléguèrent. Fascinante escroquerie!
D’une part, elle désigne les pulsions contradictoires du peuple, qui réclame autant d’être un valet qu’un souverain. Et d’autre part, elle désigne la perversité réflexe de quiconque parvient aux postes d’autorité pour prétendre aussitôt, et se prétendre à lui-même, qu’il détient cette dernière d’un ordre dépassant celui des humains.
Nelly Wenger rentabilise en l’occurrence l’idée, totalement stupide et subséquemment largement répandue, qu’elle aurait été mandatée non par les instances confédérales et les contribuables indigènes, mais au nom d’un intérêt collectif helvétique majeur – que son altitude même rend indiscutable.
Arrimant sa propre personne aux fantasmes magnifiés de «l’avenir», de «l’image» ou de «l’élan» nationaux, elle se glisse donc, en toute logique apparente, dans les habits de la reine qui convie les miséreux des environs à venir admirer ses palais une fois l’an. La révolution n’est pas pour demain.