La réduction du temps de travail s’impose d’autant plus que la productivité des travailleurs a augmenté de manière vertigineuse ces 30 dernières années.
L’initiative syndicale en faveur d’une réduction du temps de travail illustre à merveille la faiblesse, mais aussi l’utilité, de la démocratie directe telle que l’entendent les Suisses du XXIe siècle.
Faiblesse parce que, comme la quasi totalité des initiatives, elle n’a aucune chance d’être acceptée le 3 mars. Utilité parce que, comme la quasi totalité des initiatives, elle permet de lancer un vaste débat sur un sujet de société – le temps de travail – qui concerne presque tout le monde.
L’immense majorité du pays étant conservatrice, l’attaque en biais portée par l’Union syndicale contre l’idéologie du travail, pilier de la très bonne conscience suisse, est à peine parvenue à secouer le carcan de ses certitudes. On ne saurait prétendre que cette initiative a donné lieu à un grand débat.
C’est dommage, car il en va en fin de compte de l’essentiel de la vie des gens. La durée du temps de travail compte en effet plus pour vous et moi que la prétendue défense d’une neutralité vendue en catimini aux Américains en 1948 (entrée à l’OCDE) pour, pensait-on alors, solder les comptes de la guerre.
L’idée de limiter le temps de travail est éminemment progressiste et fait encore partie de ces objectifs sociaux que l’industrialisation frénétique du XIXe siècle a rendus indispensables. Au même titre que l’égalité des salaires entre hommes et femmes, la réglementation du travail des enfants, la protection de la santé des travailleurs, etc.
Comme on le voit, la simple énumération des objectifs les plus visibles fait apparaître qu’ils sont encore tous à l’ordre du jour. On travaille trop, les femmes sont discriminées, l’hygiène tant dans les usines,que sur les chantiers ou dans les bureaux est défaillante, et les enfants du tiers monde travaillent comme des bêtes de somme. On a vu défiler les Internationales ouvrières, mais les problèmes restent.
Si elle est à l’évidence inscrite dans le cours de l’histoire, la réduction du temps de travail s’impose d’autant plus que la productivité des travailleurs toutes catégories confondues a augmenté dans des proportions déraisonnables au cours des trois dernières décennies. Cette augmentation s’est produite parallèlement au développement de la précarisation de l’emploi et du recours obscène au chômage comme moyen de pression sur les salariés.
D’une façon générale, les salariés ne connaissent plus que la pression de l’angoisse et du stress quant à leur avenir. Cette calamité s’étend même à leurs enfants qui, dès l’école, sont obligés de marcher droit en vue de l’obtention future d’un emploi. En Suisse, on peut dater ce tournant: pour les salariés: la productivité s’est envolée à partir de la crise de 1972-75 et leurs enfants ont sombré dans l’angoisse au début des années 1980.
Le patronat et l’idéologie dominante ne sont pas les seuls adversaires de l’initiative. De bonnes âmes, à l’extrême gauche politique et syndicale, mettent en avant le risque de développement de la flexibilité du travail qu’apporterait son adoption. En effet, le texte soumis au vote ne prévoit pas à proprement parler la semaine de 36 heures, mais bien l’année à 1872 heures.
Mais comment ne pas reconnaître que cette attitude par rapport à la flexibilité du temps de travail correspond elle aussi à l’évolution des moeurs? Je me souviens que mon enfance à Vallorbe fut réglée par les sirènes de l’usine métallurgique (UMV) qui, le matin à 6h40 et l’après-midi à 13h10, appelaient les ouvriers au travail. Verrait-on un patron oser aujourd’hui imposer ses horaires à toute une bourgade?
En marge de cette votation, signalons pour ceux qui s’intéressent aux questions liées à la place du travail et à son salaire dans nos sociétés la publication chez Payot-Lausanne des actes d’un colloque qui s’est tenu en 1999 à l’université de Lausanne.
Il s’agit de contributions écrites par des universitaires – sociologues ou économistes pour la plupart – qui discutent longuement notamment de l’allocation universelle, ce salaire minimum que chacun toucherait dès sa naissance selon les voeux de certains. Mais le rôle même du travail, son articulation sociale, la justice ou l’injustice de sa rétribution sont analysés en détail.
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A lire aussi:
Le texte de l’initiative sur les 36 heures.
«Vers de nouvelles dominations dans le travail? Sur le sens de la crise», sous la direction de Jean Terrier et Hugues Poltier, éditions Payot, Lausanne, 192 pages, CHF. 35.-
