A la fin avril, le gouvernement britannique faisait boucler un serveur lausannois alimenté par Richard Tomlinson. Mais cet ex-espion basé à Genève a récidivé. Mercredi soir, Londres sortait les grands moyens pour le faire taire.
Genève est au centre d’une spectaculaire affaire d’espionnage menée sur le réseau mondial. C’est dans une rue proche de la gare Cornavin que réside Richard Tomlinson, l’ex-agent secret britannique qui vient de déclencher un vent de panique auprès des services de renseignement de Sa Majesté.
A plusieurs reprises, Richard Tomlinson a publié sur le Net des informations classées «confidentiel» par son ancien employeur, le SIS (Secret Intelligence Service, ex-MI6). A chaque fois, le gouvernement britannique a exigé et obtenu, plus ou moins discrètement, la fermeture des serveurs utilisés par l’ex-agent.
Le 30 avril dernier, des pages de Richard Tomlinson hébergées par le serveur lausannois de Worldcom ont ainsi été supprimées à la demande de Londres.
L’épisode le plus récent de cette partie de cache-cache est survenu dans la nuit de mercredi à jeudi. Le site que Richard Tomlinson venait d’ouvrir sur le serveur californien Geocities, et qui contenait les noms de 116 agents du SIS, a lui aussi été bouclé à la demande du gouvernement Blair. Trop tard: la liste avait déjà été téléchargée par d’autres internautes…
Dans la journée de jeudi, le gouvernement britannique déclenchait un plan d’urgence, baptisé D-notice: ce plan veut que les éditeurs du pays s’abstiennent de publier des informations qui pourraient mettre en danger la vie des agents secrets. Les journaux se sont donc contentés de relater l’affaire, sans mentionner les noms des espions.
Mais dans la journée, la liste complète apparaissait dans un newsgroup.
Pourquoi Richard Tomlinson a-t-il cherché à rendre publique cette liste d’agents secrets? Selon la presse britannique, l’homme souhaiterait se venger du SIS qui l’a licencié en 1994 dans des conditions qu’il juge abusives.
«M. Tomlinson semble entretenir un sentiment de persécution irrationnel et profond, a déclaré jeudi le ministre britannique des affaires étrangères, Robin Cook. Ce qu’il fait aujourd’hui est irresponsable, nuisible et potentiellement dangereux pour ceux qui ont travaillé avec lui dans ce service. En outre, c’est un acte illégal.»
A plusieurs reprises, Richard Tomlinson avait déjà fait la «une» des médias en assénant des déclarations fracassantes, sinon toujours convaincantes. En août 1998, il proclamait que les services secrets britanniques étaient liés à la mort de Diana. Selon lui, le chauffeur de la princesse, Henri Paul, était un agent du MI6. L’accident de la Mercedes princière serait survenu alors que les services secrets britanniques préparaient l’assassinat d’une autre personnalité.
Un mois plus tard, Richard Tomlinson déclarait que le MI6 avait aussi tenté d’assassiner Slobodan Milosevic, en 1992. Dans une lettre adressée à son avocat John Wadham, il décrivait dans le détail les plans par lesquels les services de Sa Majesté auraient envisagé de se débarrasser du leader serbe. L’un des scénarios impliquait un accident de la route, à Genève, à l’occasion d’une visite de Milosevic à la Conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie. Un fac-similé de cette lettre de Richard Tomlinson est publié sur le site Inside News. Son contenu a été repris par le New York Times.
Info ou intox? Les déclarations de Richard Tomlinson doivent en tout cas paraître crédibles aux yeux du gouvernement britannique, puisque celui-ci s’efforce d’en minimiser l’importance. «Je peux assurer au monde entier que de nombreuses personnes figurant sur [la liste de Tomlinson] n’ont jamais été impliquées de près ou de loin dans le SIS», déclarait jeudi le ministre des affaires étrangères Robin Cook.
En 1997, Richard Tomlinson a été emprisonné pendant six mois en Grande-Bretagne pour avoir voulu publier un livre sur son expérience au sein du MI6. Le premier article de l’«Official Secrets Act» punit toute tentative de divulgation d’informations confidentielles par un ancien officier des services secrets.
Entre 1991 et 1994, Richard Tomlinson avait travaillé pour le MI6 en Bosnie, en Russie et au Proche-Orient.
Aujourd’hui, il se terre à Genève. Il sait bien que personne ne peut empêcher la publication d’informations sensibles sur le Net. Mais il sait aussi que nul n’est en mesure d’en garantir l’authenticité.
