CULTURE

Rencontre avec Maxime Buechi, éditeur du tatouage

Le concepteur du très beau magazine «Sang Bleu» parle de son parcours, de son art du graphisme et des rapports de cousinage entre tattoo et mise en page.

Un magazine qui tient à la fois de l’objet d’art, de l’anthologie et de l’apologie d’une culture underground. «Sang Bleu», la revue consacrée au tatouage, vient de sortir son deuxième numéro. Soit 350 pages luxueuses de photos prises aux quatre coins du monde qui exposent des personnages et leurs tattoos dans un univers visuel en trichromie de bleu, de rose et de blanc.

Maxime Buechi, 29 ans, son concepteur, affiche une semblable démesure à même la peau: un tatouage floral de grande envergure recouvre une bonne partie de son corps athlétique, des bras jusqu’aux cuisses en passant par le torse et le dos. Une œuvre qu’on peut observer en ce moment sur une photographie de l’artiste Emmanuelle Antille au Musée de Beaux-Arts de Lausanne à l’occasion de l’exposition Accrochage.

Rencontre avec un graphiste et typographe de talent, éditeur passionné par cet artisanat des marges.

Pourquoi avez-vous choisi de mettre le tatouage au centre du magazine?

Soyons bien clair, ce n’est pas le tatouage, mais les individus tatoués qui sont au centre de ce magazine. J’essaie de faire une proposition sur la façon dont les gens se définissent. Le tatouage est une forme de définition à propos de laquelle les gens prennent position par le simple fait qu’ils en ont ou pas. De la même façon qu’ils portent des lunettes ou se teignent les cheveux, c’est un statement en soi.

Sauf que le tatouage est irréversible…

Oui, c’est vrai. Parlons alors de chirurgie esthétique. C’est un autre type de modification corporelle qui me fascine. Je ferais volontiers un magazine sur le sujet également… Je ne propose pas de réponses à travers «Sang Bleu», mais des outils de réflexion pour ne pas subir la dictature du système. Il y a aujourd’hui une pression énorme sur les gens qui ne correspondent pas à certains standards. Je veux montrer qu’il existe une alternative et qu’on peut se tatouer de manière intelligente, qu’on n’est pas obligé de s’affubler d’une ancre ou d’une rose.

Quel univers vous a amené au tatouage et au graphisme?

Je suis un électron libre. Je ne suis pas issu d’un milieu artistique. Mon grand-père était médecin à la Chaux-de-Fonds, ma grand-mère vient d’une famille pauvre d’Italie. J’ai grandi à Cheseaux dans la banlieue, près de Lausanne. Assez vite, je me suis réfugié dans le skate et dans les nouvelles cultures comme le hip-hop, là où on m’acceptait. En 89, quand je demandais aux amis de mes parents de me ramener des cassettes de rap des Etats-Unis, le hip-hop n’existait quasiment pas en Suisse. J’étais toujours en marge de la culture de masse. Le hip-hop était alors plus sérieux qu’aujourd’hui. On pouvait se la jouer, mais il fallait faire avant de frimer. Une règle que j’ai appliquée aussi pour «Sang Bleu».

Et votre tattoo?

Je l’ai fini il y a trois ans. Il s’agit d’une composition de fleurs, de cascades et de nuages. Le tatoueur lausannois Filip Leu l’a dessiné par étapes sur deux ans.

On considère Filip Leu comme le meilleur tatoueur du monde, que fait-il mieux que les autres?

Il tatoue depuis l’âge de douze ans. Il possède donc une très grande expérience. Ce n’est pas un technicien qui se perd dans les détails, mais il a cette capacité rare de prévoir comment un tatouage évoluera dans le futur. Il a une aisance et une compréhension étonnantes de tous les styles et a défini le sien qui n’est pas tape-à-l’œil à l’aune de cette vaste connaissance.

Le tatouage, parent du graphisme?

Oui, c’est aussi de la mise en page.

Votre revue «Sang Bleu» est particulièrement conséquente en nombre de pages, pourquoi ne pas avoir directement opté pour le format livre?

D’une part, je m’intéresse beaucoup aux magazines de mode pour leur aspect identitaire, je voulais donner ce même esprit à «Sang Bleu». D’autre part, cette revue est un projet expérimental sans véritable potentiel commercial ce qui m’assure une liberté complète. La formule de périodique me permet d’évoluer et m’oblige aussi à me renouveler, à proposer de l’inattendu à mes lecteurs et à mes contributeurs qui collaborent gratuitement.

Comment faites-vous pour financer un projet d’une telle ampleur sans l’appui d’un grand éditeur?

J’ai investi beaucoup de fonds personnels et j’ai fait quelques emprunts. Je reçois aussi une petite subvention de la Ville de Lausanne et l’argent de la vente commence à rentrer. J’espère attirer plus d’annonceurs dans les prochains numéros de façon à couvrir au moins l’impression. Certains d’entre eux jouent déjà le jeu de la publication en produisant des visuels sur mesure qui épousent parfaitement le style du magazine.

Qui contribue à «Sang Bleu»?

Beaucoup de collaborateurs de Londres où je vivais à l’époque du lancement de la revue. Sinon, des gens du monde entier. C’est bête à dire, mais MySpace m’a beaucoup aidé à entrer en contacts avec des profils atypiques. Tout s’est ensuite monté de fil en aiguille.

Vous n’avez donc jamais rencontré certains d’entre eux?

Effectivement, mais à l’avenir, j’aimerais resserrer le réseau de collaborateurs pour travailler seulement avec des gens qui comprennent bien le principe de la revue. Ce numéro 2 fait figure de grand brainstorming. Les prochaines éditions s’articuleront autour de thèmes plus précis.

A quand le numéro 3?

Il est prévu pour septembre. A son occasion, je vais louer un appartement à Berlin où les contributeurs viendront réaliser leurs séries photo. Entre-temps, il y aura un numéro spécial art contemporain conçu pour le Palais de Tokyo à Paris sur l’invitation d’Emmanuelle Antille, qui chapeaute actuellement un programme de résidence là-bas.

Etes-vous seul à la production?

Je m’entoure peu à peu, mais je reste le moteur. C’est triste de l’accepter, mais «Sang Bleu» est une émanation de moi-même ce qui signifie qu’il sera toujours à la mesure de mon engagement.

Parlez-nous de vos autres activités professionnelles.

Je développe des typographies en collaboration avec Ian Party sous le nom de B&P Typefoundry. Nous avons notamment expérimenté des choses pour «Sang Bleu». Sinon, je travaille comme graphiste indépendant. Je réalise des livres d’art et je collabore à des magazines de mode. J’enseigne aussi le graphisme à l’Ecal et je viens de commencer mon apprentissage de tatoueur.

Quel est votre sentiment par rapport à «Sang Bleu». Etes-vous entièrement satisfait?

C’est un mélange de satisfaction et de frustration qui me pousse à persévérer. Je suis extrêmement content de l’évolution du magazine par rapport au premier numéro où j’avais un contrat tacite avec les contributeurs. Je m’engageais à publier tout ce qu’on me fournissait. Forcément, tout n’entrait pas complètement dans le concept. C’est un défaut que l’on trouve encore, mais dans une moindre mesure dans le second. Au contraire de ce qui se passe habituellement dans la presse, mon contrôle va s’intensifier au fil des numéros.

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Sang Bleu est en vente en Suisse romande au prix de 38 francs dans les librairies Payot et en ligne sur le site du magazine idPure
www.idpure.com
www.sang-bleu.com
www.myspace.com/sangbleu