A Bâle, un véritable bateau du sommeil propose aux travailleurs fatigués d’effectuer une rapide sieste à midi. Nous l’avons testé.
Envie de dormir? Une enquête de l’Office fédéral de la statistique sur la santé des Suisses révèle leur état de fatigue: inquiétant. Pour y remédier, les spécialistes du sommeil conseillent la pratique régulière de la sieste. Une posologie qui devrait s’avaler d’autant plus facilement que, formulée en anglais, elle prend des allures branchées: on utilise désormais le néologisme de power-napping pour vendre l’idée de la sieste aux tribus urbaines.
Durant trois semaines (du 28 octobre au 15 novembre), les Bâlois peuvent monter à bord du «MS Schwitzerland II», un luxueux bateau de croisière devenu bateau du sommeil (Schlafschiff). Il a jeté l’ancre au cœur de la cité rhénane et se transforme, entre 12 et 15 heures, en dormitorium.
Quarante-sept cabines sont à disposition des personnes stressées désireuses de s’adonner au power-napping. Impossible d’en louer une seule pour deux personnes. Le Schlafschiff ne tient pas à devenir un hôtel de passe. Le tarif: 20 francs la cabine pour une demie heure, 10 francs si l’on mange à bord. J’ai eu envie d’essayer.
«Je vous réveillerai dans trente minutes». Daniela referme doucement la porte de ma cabine. Cette infirmière en psychiatrie, habituellement employée à la clinique du sommeil de Zurzach, m’a accueillie à bord du Schlafschiff et dispensé un petit cours sur l’art de dormir.
«Le power-nap ne saurait remplacer les 7 à 8 heures de sommeil nocturne conseillées, précise-t-elle d’emblée. Il est le bienvenu après un repas, alors que notre corps connaît un petit creux de son biorythme. Mais attention, il ne faut pas s’endormir plus de 20 à 30 minutes. Le réveil serait alors très désagréable car nous devrions ressortir d’une phase de sommeil profond.»
Me voici prévenue et minutée. Le temps de lire le prospectus reçu (les dix commandements du power-nap), d’admirer l’insolite paysage encadré par le hublot, d’inspecter la literie (Bico et Schlossberg comptent parmi les sponsors), d’enlever mes vêtements; près de dix minutes se sont écoulées avant que je me glisse enfin sous les plumes.
Un tic tac m’importune. Je me relève. C’est une montre incorporée à la table de nuit. Impossible de l’arrêter. L’oublier. Se détendre. Des pas dans le couloir. Les voix masculines qui s’éloignent sont-elles celles de businessmen reposés? Pourquoi Daniela n’a-t-elle pas fait allusion à l’utilité de boules Quies? Toc, toc, la porte s’ouvre déjà. «Alors, vous avez dormi?» Non.
En ce troisième jour d’expérience dormitive, les cabines ne sont de loin pas toutes occupées. Je doute que des vendeuses aux jambes fatiguées qui travaillent dans les grandes surfaces toutes proches se trouvent parmi les personnes croisées dans les longs corridors feutrés. Le power-napping semble encore réservé à quelques privilégiés.
Ce n’est pourtant pas le marché qui manque. «Et si on instaurait la sieste au lycée?», suggère de son côté le Dr Françoise Delorsmas à l’origine d’une étude sur le sommeil des lycéens. Selon elle, 80% des 15-20 ans manquent de sommeil. Au réveil, seulement un sur quatre déclare se sentir en forme. Seule la moitié d’entre eux suit attentivement les cours jusqu’à 10 heures. Puis c’est la débandade. Entre 16 et 18 heures, ils ne sont plus que 2 à 3 % en état d’attention maximale. Jacques Chirac, qui a préfacé un «Eloge de la sieste», ne devrait pas s’opposer à une telle réhabilitation de Morphée.
On ne compte plus les études qui montrent les ravages du manque de sommeil sur les routes ou les lieux de travail. Dernière en date, la publication d’une recherche sur ses fâcheuses conséquences dans le domaine de l’apprentissage des langues.
Certains commerçants ont déjà flairé un marché porteur. Si le sommeil tarde à venir à midi, vous pouvez toujours acquérir un power-nap kit, un fauteuil-chaise longue de Sedus pour dormir au bureau, ou encore Téo de 2 à 3, le matelas-coussin dépliable de la designer Matali Crasset.
