Ce film se laisse regarder avec le même plaisir que l’on contemple la surface d’une piscine en plein été, quand se dégagent ces flammèches de chaleur qui font tourner la tête et croire aux mirages.
A ceux qui n’en connaîtraient pas encore le synopsis, voilà comment débute «Swimming Pool», de François Ozon. Après de nombreux succès publics, la romancière londonienne Sarah Morton (Charlotte Rampling, vicieuse et attachante à souhait) traverse une grave crise d’inspiration. Pour la stimuler, son éditeur lui prête les clés de sa maison de campagne dans le Lubéron.
Après quelques jours de détente savourés avec un certain masochisme — elle ne mange qu’allégé, s’interdit le vin blanc, s’habille vieille fille alors qu’elle rêve de couleurs vives –, Sarah voit sa vie monacale totalement chamboulée par l’arrivée de Julie (Ludivine Sagnier, solaire et mélancolique), la fille de l’éditeur. Entre les deux femmes, l’agressivité est immédiate. L’une a besoin d’ordre et de calme pour travailler; l’autre n’est qu’exhibitionnisme et chaos.
Toute l’intrigue de «Swimming Pool» repose sur la confrontation ambiguë entre l’auteur de polars et la Bimbo aux seins aussi galbés que la croupe. D’abord hostile à la gamine, Sarah se pique peu à peu de curiosité pour cette créature sexy qui ne se refuse rien, une sorte de «ça» freudien qui vient défier son surmoi très rigide. Sarah comprend alors que Julie peut devenir sa muse, la source d’inspiration du roman qu’elle est en train d’écrire. Elle veut en faire son amie pour mieux la vampiriser, s’emparer de son histoire — elle lit et recopie des passages du cahier intime de la gamine.
Au fil des chapitres qui s’écrivent, Sarah devient plus lumineuse, décontractée et désirable. Inversement, Julie voit sa carapace de «cagole» — mot provençal signifiant petite nana sexy et vulgaire — se fissurer et ses blessures d’enfance remonter à la surface jusqu’à l’inéluctable, un crime commis au bord de la piscine….
Qu’est-ce qui s’est vraiment passé dans la maison du Lubéron? Difficile à dire puisque «Swimming Pool» se révèle être le livre que Sarah est en train d’écrire: Ozon filme le roman de Sarah en quelque sorte. Mais quand se termine le film et quand commence le livre? C’est là que les hypothèses entre amis fusent. Pour certains, rien, strictement rien n’a existé, tout est dans la tête de Sarah Morton, même Julie!
Pour d’autres, c’est le travail de création, l’appropriation de la réalité par l’artiste pour en faire une vérité romanesque que décrit «Swimming Pool». Pour d’autres encore, tout est vrai, y compris le meurtre — ceux-ci trouvent le film très immoral. Pour d’autres enfin, il s’agirait ni plus ni moins de l’autoportrait, un rien vaniteux, de François Ozon en auteur de best-sellers devenu auteur de grande qualité!
Rien de déterminant n’autorise une version plutôt qu’une autre. Le schéma de «Swimming Pool» est un peu le même que celui de «Mullholland Drive» de David Lynch; il suit la logique de l’inconscient, celle qui répond à l’exigence du désir plutôt qu’à l’autorité du possible. A cette différence que l’auteur de «Sous le sable» n’est pas un cinéaste des profondeurs ni des labyrinthes. Sans aucune notion péjorative, François Ozon est un cinéaste de la surface. Tous ses films en témoignent, surtout «Huit femmes» qui joue entièrement sur les codes vestimentaires, de décors et de casting.
Mais un cinéaste de la surface qui sait particulièrement bien capter les effets de mirage, d’étrangeté et de diffraction que distillent les univers du lisse, du transparent, du nickel — tout est toujours propre chez lui, même si ses scénarios sont trash ou crades. A ce titre, la piscine représente le sommet du décor naturel: un cadre plane où tout peut se projeter, avec la possibilité de plonger dedans. On regarde «Swimming Pool» un peu comme on se laisse glisser dans le sommeil de la sieste, avec une sorte de somnolence bienheureuse, sans résistance.
Comme toujours avec François Ozon, les références au cinéma sont nombreuses. Des «Diaboliques» à «La Piscine», de «Jeune fille cherche appartement» à «Providence», «Swimming pool» avance comme un jeu de pistes. L’œuvre d’Ozon est ludique; on y circule comme dans un jeu de société, le Cluedo de préférence.
Il serait vain de vouloir du jeune cinéaste, 37 ans à peine, autre chose qu’un cinéma d’auteur divertissant. A l’image de son héroïne, Ozon signe des best-sellers cinématographiques.
Deux scènes pourtant sortent ce principe de séduction: celle où Charlotte Rampling dans un geste à la Deneuve dans «Tristana» ouvre sa chemise pour attirer dans son lit le vieux, très vieux jardinier, et celle où elle se retrouve nez à nez avec une naine précocement sénile. Deux séquences où suinte le malaise. Un jour, peut-être, François Ozon écrira des cauchemars plutôt que des rêves pour box office.
