Les téléspectateurs genevois peuvent désormais s’abonner à des chaînes thématiques. Ce service sera étendu à tous les cantons romands à l’automne. Mais à quoi sert la TV numérique quand on dispose déjà d’une quarantaine de programmes?
La Suisse est sans doute le pays le plus câblé du monde: près de 90% des foyers sont raccordés à un téléréseau et reçoivent une quarantaine de chaînes. Seuls quelques citoyens malchanceux occupent des appartements non-câblés, comme moi. Mon téléviseur ne capte que la chaîne romande, et encore, quand il fait beau.
Il y a environ un an, j’ai traversé la frontière pour aller m’abonner à CanalSatellite auprès du premier revendeur venu. Théoriquement, ce service de télévision numérique ne peut être vendu à des Suisses. Mais il suffit de donner une adresse en France pour conclure un contrat. J’ai donné celle d’un ami parisien et j’ai signé pour un an.
Pour environ 200 francs français par mois (50 francs suisses), qui comprennent l’abonnement et la location du décodeur, le bouquet français propose un choix irrésistible: des centaines de chaînes dont plusieurs thématiques qui passent des films exclusifs, sans pub, et une quantité de radios et de programmes musicaux en qualité CD. Le bouquet concurrent, TPS, propose une sélection plus ou moins équivalente à des tarifs similaires.
Cette pléthore de chaînes, auxquelles s’ajoutent les programmes à la demande, est rendue possible par la compression numérique des images: l’équivalent d’un canal analogique peut regrouper six à dix fois plus de canaux numériques. Cette télévision numérique est souvent confondue avec la télévision à haute définition (TVHD), qui n’a rien à voir. Le décodeur numérique peut en effet se brancher sur n’importe quel téléviseur, y compris les plus anciens. La transmission numérique ne dépend pas du support: elle fonctionne aussi bien par la voie hertzienne que le câble ou le satellite.
Cette semaine, le numérique fait enfin son apparition en Suisse, et ma parabole cessera bientôt de susciter la jalousie de mes amis. Une sélection de chaînes compressées est proposée à Genève à ceux qui acceptent de louer (16 francs suisses par mois) ou d’acheter un décodeur (550 francs). En plus d’une offre de base améliorée, Telegenève propose plusieurs bouquets thématiques payants. Dès septembre, la télévision numérique sera disponible dans l’ensemble de la Suisse romande, en suivant plus ou moins le modèle genevois.
Pour l’instant, les bouquets proposés à Genève n’ont rien à voir avec TPS ou CanalSatellite puisque la sélection s’adresse avant tout à la clientèle étrangère: chaînes espagnoles, italiennes ou turques. Quant aux programmes en français, ils proviennent en grande partie du groupe AB, qui semble s’être spécialisé dans la télévision bas de gamme («Hélène et les garçons», etc.). Heureusement, cela devrait changer bientôt. «Dans le courant de l’été, l’offre va rapidement s’étoffer, assure Paul-Edmond Delay, responsable du numérique de TéléGenève. Nous discutons avec de nombreuses chaînes françaises pour obtenir les droits de diffusion.»
Souvent, les chaînes thématiques françaises (Paris Première, LCI, Canal Jimmy) ne voient pas l’utilité de payer des droits pour la Suisse, ce qui complique les négociations. TéléGenève assure cependant détenir un catalogue de 123 chaînes pour cet automne. Preuve que le marché attend depuis longtemps une telle amélioration de l’offre, les 500 premiers décodeurs de TéléGenève ont disparu en un jour. L’opérateur affirme recevoir plus de 600 appels par jour pour des demandes d’abonnement, principalement pour les bouquets étrangers.
Dans les autres cantons de Suisse romande, les opérateurs se sont regroupés dans un consortium baptisé DigiTV. Cette société (dont Cablecom, principal opérateur du pays, est actionnaire avec la Ville de Lausanne et Romande Energie), lancera ses services cet automne sur tous les téléréseaux romands. Son offre se veut potentiellement plus ouverte que celle de TéléGenève. Le décodeur de DigiTV possède quatre extensions PCMCIA (un standard utilisé dans informatique) qui permettent de s’adapter aux différents bouquets européens.
Comme l’opérateur genevois, DigiTV a confié les négociations avec les chaînes étrangères à Claude Berda, patron du groupe français AB (encore lui), qui a repris en Suisse la société Pay TV.
«Nous voulons offrir le maximum de possibilités à l’usager, explique André Vuillemez, directeur de Vidéo 2000, câblo-opérateur neuchâtelois qui travaille avec DigiTV. A terme, il faut qu’il puisse choisir de s’abonner comme il l’entend aux chaînes de CanalSatellite, de TPS ou même d’autres bouquets étrangers, par exemple italiens, s’il veut voir les matches de la Juve sur TelePiù.»
Sujet central des négociations avec les groupes internationaux: le prix. Actuellement, l’abonnement au téléréseau analogique coûte environ 20 francs (80 FF) par mois. Le décodeur numérique devra s’acquérir pour environ 500 francs (2000 FF) ou se louer pour 15 à 20 francs par mois. S’il faut encore ajouter le prix des bouquets français, on arrivera à une somme mensuelle de 80 à 100 francs (400 FF). «A un tel tarif, il n’y a pas de marché, poursuit André Vuillemez. Personne ne va dépenser autant, compte tenu de l’offre actuelle. Surtout, nous devons envisager la concurrence du satellite, qui se développera si les tarifs du téléréseau sont trop élevés. Idéalement, le prix du bouquet ne devrait pas excéder une vingtaine de francs.»
A Genève, le téléréseau est souvent compris dans le prix du loyer. «Les gens ne savent pas qu’ils paient pour le câble, se réjouit Paul Edmond Delay. Ils ajouteront donc plus volontiers 25 francs par mois à leur facture, voire plus, pour un bouquet numérique.» L’opérateur prépare un découpage en fonction des goûts des usagers. «Le bouquet cinéma, que nous lancerons bientôt, proposera pour moins de 25 francs par mois cinq chaînes thématiques dont celles de CanalSatellite: CinéCinéma I, II et III et CinéCinéfil.»
Un groupe de 14 chaînes destinées à toute la famille sera commercialisé en parallèle (13ème rue, Canal J, Disney Channel, Fashion TV, Voyage, etc.) pour une vingtaine de francs. Dommage, il manquera l’excellent Canal Jimmy et ses séries en version originale («Dream on», «Friends», «Absolutely Fabulous», etc.) pour cause de droits, tout comme La Chaîne Info (LCI) de TF1.
Le numérique se développera moins vite dans les autres cantons qu’à Genève, où l’opérateur a adapté son réseau en conséquence. Ailleurs, on a mis la priorité sur le Net (les usagers genevois seront bientôt les seuls de Suisse à ne pas pouvoir utiliser le câble pour surfer sans bloquer leur ligne de téléphone).
Les deux usages se confondront bientôt. «A terme, la TV utilisera l’interactivité du Net, c’est évident, explique Jean-Charles Cardinaux, directeur de Cablecom pour la Suisse romande. Il suffit de voir la valeur qu’ont pris les câblo-opérateurs américains pour comprendre que c’est sur internet qu’il faut mettre la priorité. D’autant que l’offre de base pour la télévision est déjà très large en Suisse avec une quarantaine de programmes. Les chaînes payantes ne peuvent couvrir qu’un marché spécialisé.» Traduction: du sport et du cul.
