CULTURE

Ed Harris tient la caméra et le pinceau

Du fabuleux Ed Harris (à l’affiche de «Stalingrad»), on connaissait les grands talents d’acteur. On découvre aujourd’hui qu’il est aussi un cinéaste inspiré, notamment par la peinture. Nous avons vu «Pollock», son premier film, à New York.

Retracer au cinéma la vie et l’œuvre du peintre américain Jackson Pollock. Le pari était osé. Après dix ans de maturation, l’acteur Ed Harris s’est lancé et son film vient de sortir aux Etats-Unis.

Malgré l’immensité et la délicatesse de la tâche, Harris, 50 ans, connu surtout pour ses seconds rôles aux côtés de Tom Cruise ou Jim Carrey, a su trouver le ton juste. Son regard sur l’artiste reste distant: pas de jugement ni d’interprétation dans ce film qui retrace les quinze dernières années de la vie du peintre. Celles de sa rencontre avec Lee Krasner, la compagne, l’amante et l’agente, celle de l’ascension à la gloire et du désespoir aussi, jusqu’à ce soir tragique de 1956 où Pollock perd la vie dans un accident-suicide au volant de son automobile sur l’île de Long Island, près de New York.

«Je me suis souvent demandé pourquoi je voulais faire un film sur ce mec, raconte Harris. Je me disais, laisse-le en paix. Et puis j’ai réalisé que c’est moi que je voulais laisser en paix.» Car Pollock est devenu son obsession depuis ce jour de 1986 où son père lui offre la biographie de référence du peintre, celle de Steven Naifeh et Gregory White Smith: «Jackson Pollock, une saga américaine». Au point qu’il décide de faire le grand pas: passer à la réalisation et à la production. «C’est bizarre, je n’ai jamais voulu devenir Pollock, mais je voulais permettre à l’expérience de Pollock de me toucher, de m’inspirer, de me mener à une interprétation honnête et vraie.»

Pollock, c’est assurément le rôle d’une carrière pour Harris. Jusqu’à cette ressemblance physique, troublante. L’acteur apprendra à peindre pour ne pas avoir à être doublé dans les scènes de création. Il se fera construire un atelier dans son jardin de Malibu, suffisamment vaste pour s’attaquer à des toiles aussi grandes que celles qu’affectionnait Pollock. Le résultat est surprenant.

Harris peignant est crédible, même lorsqu’il se lance dans le dripping, cette technique consistant à laisser tomber la peinture du pinceau sans jamais toucher la toile. Deux des œuvres réalisées par Harris sont du reste utilisées dans le film.

Malgré l’attachement évident qu’il éprouve envers l’homme et le peintre, Harris évite l’apitoyement et se contente d’un portrait presque clinique, alimenté essentiellement par les faits. Le film commence délibérément par une scène montrant un Pollock dans la trentaine, encore méconnu, rentrant chez lui, ivre, soutenu par son frère chez lequel il loge. Pas d’explication à cet alcoolisme contre lequel le peintre luttera désespérément. Il est posé d’entrée comme un élément central de sa vie.

Suivront ensuite la rencontre avec Lee Krasner, les tumultes d’une relation indispensable à l’un comme à l’autre, marquée par l’abnégation de Krasner qui la première reconnaîtra le génie de Pollock, dès le début des années quarante, alors que sa peinture est encore engluée dans le cubisme et le surréalisme.

Harris recrée aussi avec réussite le New York de ces années de guerre, quand la métropole américaine n’était qu’une petite capitale de province dans le monde de l’art, dans l’ombre de Paris. La guerre changera tout, et avec elle le débarquement d’artistes européens qui transformeront durablement la scène américaine et feront de New York, avec des peintres américains tels que de Kooning et Pollock, la capitale mondiale de l’art.

Si Harris s’était jusqu’ici fait un nom surtout sur les planches, ce rôle pourrait le propulser définitement dans le cercle des très grands interprètes de cinéma. Hollywood ne s’y est certainement pas trompé en le sélectionnant pour l’Oscar du meilleur acteur, une distinction généralement réservée à des rôles plus facile d’accès.

L’acteur a renoué depuis avec les seconds rôles, enchaînant les films depuis l’été dernier. «J’ai investi tout mon fric dans Pollock et franchement, je n’ai pas le choix. Je suis fauché. Je vis de mes avances», explique-t-il pour justifier ces rôles alimentaires.

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Les citations de Ed Harris sont extraites d’interviews accordées à la presse américaine (notamment The New York Times et My Generation) et de sa conférence de presse, à New York, lors de la première mondiale du film en septembre dernier.

Le site officiel du film «Pollock».