CULTURE

Le roman prémonitoire de Lynne Cheney, femme de vice-président

L’épouse de Dick Cheney reste discrète sur son roman publié en 1988. Peut-être parce qu’il raconte l’histoire d’un vice-président des Etats-Unis retrouvé mort dans les bras d’une journaliste…

Je ne me serais sans doute jamais intéressée à Lynne Cheney si la biographe d’Hillary Clinton, Susan Flinn, ne l’avait présentée comme «une Hillary conservatrice, mais avec un même intérêt pour la politique». Une nouvelle Hillary, après les Clinton? Je me suis mise à dévorer les articles consacrés à l’épouse de Dick Cheney, le nouveau vice-président américain.

J’ai appris tour à tour que Lynne s’était fait une réputation pour sa croisade contre le féminisme revanchard, pour son opposition au contrôle des armes à feu et à une vision trop «multiethnique» de l’Histoire. Pendant que Dick gravissait lentement les échelons de l’appareil de l’Etat, Lynne jouait les porte-parole de la droite ultra, s’épanchant dans les talk-shows et multipliant les pamphlets dans diverses publications. Je commençais à me désintéresser d’elle quand je suis tombée sur un article raillant les romans qu’elle a publiés.

Oui, Lynne Cheney est aussi écrivain à ses heures.

Je me suis ainsi précipitée sur «The Body Politic», un roman publié en 1988 et réédité l’an dernier, à quelques semaines de la convention républicaine. Et je me suis régalée. Non tant pour la prose, aussi subtile que celle des romans de gare, que pour les détails piquants livrés par une femme fort à l’aise dans les coulisses de Washington.

Car c’est dans l’univers politique, bien sûr, que Lynne Cheney va chercher son inspiration. Dans les fréquentations de son vice-président de mari, qui a été chef de cabinet de Gerald Ford, puis secrétaire à la Défense de George Bush Sr avant de se retrouver vice-président de George Bush Jr.

L’intrigue de «The Body Politic» fait ainsi curieusement intervenir… le vice-président des Etats-Unis, au nom romanesque de Stewart Bulloch Vandercleve. Celui-ci est retrouvé mort dans les bras de la journaliste vedette d’une chaîne de télévision! «Arrêt charnel», écrit suavement Lynne Cheney. Il s’agit pour le narrateur, Frank Lee, qui se révèlera un maestro des relations publiques, de dissimuler la mort embarrassante du vice-président.

Lynne Cheney imaginait-elle seulement, à l’époque, que son mari occuperait un jour cette même fonction?

S’offusquant à peine des escapades conjugales du vice-président, elle s’interroge sur l’esthétique d’un homme dont elle pensait que «les goûts extra-maritaux étaient plutôt sang bleu patricien, ces femmes et ces filles discrètes des dynasties américaines». On reste songeur quand on apprend que Romana Clay, la maîtresse donc, est d’origine juive et italienne… Le roman se perd ensuite dans d’invraisemblables situations où Frank Lee, porte-parole officiel de feu Vandercleve, ira jusqu’à utiliser les talents d’un imitateur afro-américain reconverti au judaïsme pour faire croire à l’existence d’un mort dont les cendres ont été depuis longtemps dispersées.

Lynne Cheney doit sans doute regretter aujourd’hui ses commentaires d’alors sur la vice-présidence. «Selon la Constitution, la seule chose requise par le job est d’attendre: attendre la mort du président ou sa destitution.» Son mari, dans la vie réelle, martèlant qu’il n’aspire à aucune autre fonction (son coeur risque du reste pas de ne pas lui en laisser les moyens), pourrait rapidement la contredire. Car contrairement à la vision romanesque de sa femme, Dick ne sera pas de ceux qui «multiplient les gaffes» pour prouver qu’il est en vie.

Il affiche déjà une préférence pour le devant de la scène, ne serait-ce que pour éviter à son boss les questions embarrassantes auxquelles il sera bien en mal de répondre. Ne l’a-t-on pas déjà vu ce week-end faire le tour des talk-show dominicaux, ces redoutables émissions où se font et se défont les carrières politiques américaines, pour rappeler, s’il en était encore besoin, que les Etats-Unis entendaient durcir leur position contre l’Iraq, qu’ils se passeraient de l’avis des Russes pour lancer leur bouclier anti-missiles et pour prôner que l’interdiction de l’avortement, après tout, n’est pas si tabou?

Pendant ce temps, George W. Bush chantait des airs de gospel, histoire de tendre la main à cette communauté noire dont il se fichait pourtant comme d’une guigne pendant la campagne.

Quant à Lynne Cheney, elle se fait discrète, attendant peut-être son heure, comme Mme Vandercleve qui, par un judicieux stratagème reprendra, dans le roman , la place de son mari sur le ticket présidentiel, devenant ainsi la première vice-présidente des Etats-Unis. Et on ose dire qu’Hillary est ambitieuse…

Lynne Cheney évite les questions sur son drôle de roman, en délaissant la parternité à son co-auteur Victor Gold. Sa biographie sur le site de la Maison Blanche n’en fait même pas mention…